Blanquer sera, fin septembre 2022, le ministre de l’Éducation nationale qui est resté le plus longtemps en poste sous la 5e République. Il a largement utilisé ce temps pour mettre en place son programme pour l’École.
Depuis son arrivée, et avant la crise du Covid, voilà ce qu’il avait engagé : soutien au privé hors-contrat, injonction sur les méthodes de lecture, fin des « plus de maitres que de classes » sans évaluation du dispositif, réforme du bac concrétisée par la mise en place des E3C et Parcours sup, réforme du bac professionnel, dédoublement dans les classes REP/REP+, mise en place des évaluations nationales standardisées et du pilotage par les résultats, statut de la direction d’école, transformation des missions fondamentales des Rased, mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), loi pour l’école de la confiance, externalisation de l’orientation scolaire, réforme de la formation initiale, et il en manque… Le tout dans un cadre de transformation des règles fondamentales de la fonction publique, dont le paritarisme. Quatre ans de « réformes » intensives, menées contre la profession et au détriment des élèves, de leurs familles.
Il y a une continuité totale entre l’avant et l’après crise sanitaire. L’exemple le plus récent, le « Grenelle », va dans ce sens. Annoncé pour répondre à la mobilisation des retraites, ses conclusions sont une totale reprise des idées écrites par Blanquer en 2016 dans « L’école de demain ». Il nous semble nécessaire de revenir sur une analyse plus systémique, moins conjoncturelle. Aussi bien sur l’école, son rôle dans un monde capitaliste, que sur la société.
Blanquer un libéral en mission
Si le Covid a pu représenter une opportunité, il n’a joué qu’un rôle catalyseur, loin d’être un élément déclencheur. Une analyse trop liée à la crise sanitaire pourrait désarmer pour l’après : si la crise s’arrêtait, cela pourrait arrêter Blanquer ou a minima atténuer sa politique. Dans cette optique, il faudrait juste faire le dos rond en attendant que cela passe. Nous savons qu’il n’en sera rien : Blanquer n’est pas un opportuniste mais un idéologue. À qui il reste un an pour « finir le travail ». Et si rien n’est fait, il poursuivra son œuvre.
L’écueil majeur d’une analyse prenant la pandémie comme un déclencheur, c’est une forme de relativisation du projet global des libéraux pour l’école, de la place de cette dernière dans une société de classe, et la nature systémique du capitalisme : son but n’est pas l’application de telle ou telle recette mais une modification en profondeur des classes sociales en France. Blanquer met en place une école au service de ce projet, avec les réformes pour y parvenir, aussi bien pour les élèves que pour les personnels.
Ce constat qui s’inscrit dans une continuité plus ancienne d’au moins 20 ans où la quantité se transforme en qualité et se cristallise sous Blanquer. La continuité de celles et ceux qui ont renoncé à d’autres modèles de société (PS, PCF…) : même s’ils critiquent l’action gouvernementale actuelle, ils n’ont rien fait quand le pouvoir était entre leurs mains. Une continuité d’un projet d’école de classe, à l’opposé du « touTEs capables », de la démocratisation scolaire et de l’émancipation de la jeunesse.
Saisir les possibles, même quand la voie est étroite
Cette crise sanitaire a surtout entrainé l’affaissement des capacités de résistances. D’abord en détruisant les collectifs de travail, les échanges physiques, les rencontres avec les collègues. En individualisant ensuite les problématiques, dans un climat anxiogène et « corona-centré ». Tout cela a fatigué les corps et les esprits, complexifié la construction d’équipes mobilisées. Et cela dans une accélération de ce qui était déjà en cours depuis la loi travail : un État libéralo-autoritaire qui réprime tous ceux et toutes celles qui osent résister.
La crise rend aussi plus complexe la discussion avec les collègues, quand ils-elles réussissent à sortir la tête de l’eau, se posent des questions contextuelles et immédiates. Il faut donc utiliser ces questionnements légitimes, car impactant directement les conditions de travail, pour construire un mouvement de fond permettant de remettre en cause l’intégralité du projet Blanquer.
La crise ouvre aussi des possibles. Elle créée une accélération des confrontations entre les intérêts de la majorité et ceux de la minorité, la non-redistribution des richesses entre les premierEs de corvée et les premierEs de cordée est flagrante. Elle pose aussi avec beaucoup d’acuité la question du « qui décide de quoi », elle a démontré à une échelle inégalée l’importance des services publics, a dévoilé le caractère inéluctablement autoritaire du libéralisme…
Pour nos collègues, la crise a montré la place des enseignantEs dans ce système : garder les enfants pour maintenir le profit créé par les parents. La gestion plus que catastrophique a rendu Blanquer plus impopulaire qu’aucun autre ministre avant lui. Elle a permis enfin de de faire la démonstration à une échelle large des carences abyssales en termes de moyens humains notamment, de formation, des soucis sur le bâti scolaire mais surtout montré que si l’École a tenu, c’est parce que les personnels la portent à bout de bras.
Gageons que la prise de conscience collective peut s’opérer. Face aux injonctions contradictoires et aux absences d’anticipation des problèmes à venir, la question de la désobéissance au ministre gagne du terrain dans la profession. Cela doit se fonder sur une analyse systémique de l’École. Il est essentiel d’arriver à articuler la cohérence de notre projet global avec des revendications immédiates, sur la gestion sanitaire, des salaires et des conditions de travail et d’étude, et des revendications transitoires. La pierre d’angle est d’exiger la démission de Blanquer.
Redonner du sens à un projet d’école émancipatrice pour toutes et tous et mettre la profession en mouvement pour y parvenir devrait être possible.