Quel est le lien entre la droite décomplexée, apparue dès le début de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, et l’Éducation nationale aujourd’hui ? La cagnotte pour lutter contre l’absentéisme.
Mise en place depuis le lundi 5 octobre dans trois lycées professionnels de l’académie de Créteil, elle succède à l’institution du bac professionnel en trois ans. Aussi, l’ensemble de la communauté éducative et les parents d’élèves doivent y voir en filigrane le nouveau projet académique : la revalorisation de l’enseignement professionnel passe par la lutte contre l’absentéisme des élèves ! Plus précisément, un des lycées où l’expérimentation débute cette année, le LP industriel Alfred Costes à Bobigny, accueillant environ 650 élèves, comptait un taux d’absentéisme de 15% par an mais en forte baisse depuis 2007.
Si ce chiffre se stabilise aujourd’hui à moins de 10%, cela n’est pas le fruit d’une vraie politique éducative au sein de cet établissement, mais d’une politique de la « carotte et du bâton » mise en place depuis 2002 et visant à appâter et contraindre les élèves pour qu’ils viennent au lycée : tableaux d’honneur et tours en Porsche à la fin de l’année, heures de colles et sanctions disciplinaires et, cette année, certificats de scolarité renouvelés chaque trimestre. Cette dernière mesure remet en question directement les conditions d’une bonne scolarité en menaçant de supprimer la prise en charge des transports, des bourses et des allocations familiales par l’État.
En outre, malgré une forte mobilisation des professeurs et parents d’élèves en 2007, plusieurs postes ont été supprimés, réduisant le dédoublement des classes de moitié et limitant ainsi le suivi pédagogique des élèves. Le bilan est lourd car dans cet établissement, près de 50 % du personnel travaille sous un statut précaire. Du coup, le rapport de forces est lui aussi très précaire, face à une direction et un rectorat qui entendent faire du chiffre. Aussi, le choix de cet établissement pour mener l'expérimentation de la cagnotte n’est pas anodin.
Ce dispositif met en place, pour une classe jugée difficile avec un fort pourcentage d’élèves en échec scolaire, une cagnotte s’élevant au départ à 2000 euros et pouvant atteindre 10000 euros si la présence collective de toute une classe est respectée à tous les cours sur un an. Il faut insister sur ce terme car les valeurs de travail, d’effort et de réussite personnelle de l’élève, réappropriées par le discours officiel, ne sont pas mentionnées dans ce projet. Le collectif doit ici se résoudre à céder collectivement à la « carotte » sans forcément travailler mais en « pointant » tous les jours en classe.
Dans ce cadre, la dimension collective d’une classe et des rapports entre les élèves, privilégiée dans les lycées professionnels par le travail en atelier, est utilisée comme un outil d’obéissance aveugle à une institution qui ne se préoccupe guère de son avenir. La cohésion d’une classe, qui pourrait être un réel moteur d’apprentissage de la solidarité, devient le ressort d’un autocontrôle collectif visant à saquer ceux qui ne suivent pas la ligne.
En outre, les professeurs de l’établissement, n’ayant pas été mis officiellement au courant de ce dispositif jusqu’aux premiers reportages diffusés par les médias, se retrouvent aujourd’hui dans un rapport de forces involontaire, augmenté par le manque de matériel pédagogique, avec les élèves. Ces derniers, sceptiques quant à l’aboutissement de ce dispositif traduit par la prise en charge du Code de la route, se trouvent néanmoins prêts à accepter collectivement ce défi.
Depuis le 5 octobre dernier, la valorisation de l’élève passe ouvertement par la marchandisation des rapports qu’il entretient avec le savoir et ses représentants. Il est temps de prendre conscience que le champ du capitalisme marchand fait partie intégrante de l’enseignement public et que ce dernier s’autodétruit par la participation insidieuse de ses principaux acteurs : les élèves.
Correspondante locale.