La fin de l’année 2020 et le début 2021 ont résonné au bruit des vitupérations ministérielles contre « l’islamo-gauchisme » (universitaire, mais qui « gangrène » aussi toute la société française). Le débat parlementaire sur le « séparatisme » devait avoir sa musique d’ambiance, certes. Blanquer a toutefois jugé nécessaire d’étendre un peu le répertoire en se lançant, depuis juin, dans la lutte anti-« woke ».
Aiguillonné dans ce sens au Parlement par le député LR Aubert (déjà auteur de dénonciations d’universitaires sur un réseau social après l’assassinat de Samuel Paty) le ministre de l’Éducation nationale s’est emparé du rapport établi par « l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » pour s’attaquer au « wokisme », perversion étrangère, venue des « campus américains » et se répandant « dans les universités du monde entier ».
Panique morale nationaliste et raciste
Le « wokisme », terme jeté pour (dis-)qualifier toute pensée critique de la domination et de la discrimination, c’est aussi la promesse de l’intolérance de la « cancel culture », menace jugée désormais omniprésente, contre la liberté d’expression. Pire encore, selon l’un des fins esprits servant de référence au ministre, ce nouvel obscurantisme serait « aux manettes de l’université, de la formation des enseignants et des citoyens de demain en leur fournissant les mots du discours qui justifient tous les séparatismes »1.
Blanquer a trouvé, avec le « wokisme », l’occasion de valider et de monter le volume de toute la panique morale nationaliste et raciste, ce au-delà du seul registre islamophobe, déjà vaste, mais sans doute encore trop restreint à son goût.
Si ce déluge de confusionnisme hypocrite doit se comprendre dans le contexte national, il est aussi la déclinaison provinciale d’une campagne d’extrême droite déjà très avancée aux États-Unis, dans l’héritage de Trump, et dans la Grande-Bretagne d’une droite nationaliste et ouvertement « blanchiste », elle aussi, libérée par les surenchères racistes de Boris Johnson et dans la lignée de la politique anti-immigréEs officiellement baptisée d’« environnement hostile » inaugurée depuis 2012.
« Cancel culture » d’État
Le « wokisme » et la « cancel culture » y sont devenus les cauchemars sur mesure autorisant la véritable offensive « annulatrice » menée tous azimuts contre toutes les contestations des dominations. Aux USA, par exemple, le gouverneur républicain de Floride, Ron de Santis, annonçait en juin dernier une série de dispositions contre l’enseignement de la théorie critique de la race (critical race theory) dans les écoles de son État. Pire encore, en Floride, il s’agit maintenant de surveiller les convictions politiques des étudiantEs et des personnels des universités publiques, et de faire place à des enseignements à la gloire de la nation américaine. Des élus républicains ont proposé des dispositions comparables, assorties de menaces sur les budgets, dans vingt-deux États. Cinq les avaient déjà adoptées en juin dernier.
Même tendance dans les universités britanniques au nom de la « liberté d’expression » ou, comme aux US, au nom de la lutte contre la popularité du mouvement BDS invariablement accusé d’antisémitisme. En Europe, c’est en Hongrie que l’on constate l’offensive probablement la plus aboutie contre la liberté de recherche et de pédagogie : en août 2018, notamment, le gouvernement Orban avait annoncé l’interdiction pure et simple des études de genre dans l’enseignement supérieur.
Blanquer-Vidal et tous leurs semblables ne manquent ni de précédents ni d’encouragements pour avancer dans la voie de la « cancel culture » d’État, la vraie, qui marche.
- 1. Xavier-Laurent Salvador (« linguiste »), le Point, 26 janvier 2021.