Publié le Mercredi 3 mai 2023 à 17h14.

Éducation nationale : Faire monter la pression sur les salaires et refuser le pacte… tous ensemble !

Annoncée à grand renfort de communication, la revalorisation salariale des enseignantEs n’est pas à la hauteur. Retour sur des arbitrages, leurs significations et les nécessaires luttes à venir.

«Nous avons commencé une revalorisation des professeurs. J’irai au bout de celle-ci et elle n’est pas conditionnée à quoi que ce soit. Cela veut dire qu’il y aura une revalorisation autour de 10 % ». C’est ainsi qu’Emmanuel Macron s’exprimait le 22 avril 2022 sur France Inter. Ces propos étaient censés lui attirer les votes d’un électorat hostile à l’extrême droite mais en rupture totale avec l’exécutif depuis Blanquer. Spoiler alerte : les arbitrages sont loin des promesses. 

Une augmentation moyenne au niveau de l’inflation de 2022

Concernant le montant tout d’abord : la promesse de 10 % pour toutes et tous se fracasse sur le choix politique d’un budget contraint. Le réel est en effet moins reluisant que le discours : 85 % des personnels auront moins de 10 % d’augmentation entre la rentrée 2022 et la rentrée 2023. Pire, la moyenne de l’augmentation est de 5,3 %. Soit 0,1 % au-dessus de l’inflation de 2022 (Insee) !

Ensuite, parce que l’augmentation est « sous conditions » : sur une enveloppe de 3 milliards, 2 milliards sont dédiés à l’augmentation de toutes et tous… et 1 milliard au « pacte enseignant ». Ce pacte consiste à rémunérer en contrepartie de nouvelles missions, soit « travailler plus pour gagner plus ». Ce n’est donc pas une augmentation. Pourtant une étude de la DEEP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) d’octobre 2022 a révélé un temps de travail hebdomadaire de 43 h en moyenne chez les enseignantEs. Et certaines tâches, comme le temps d’accueil en primaire, ne sont toujours pas décomptées…  

Un pacte pour diviser et imposer la gestion managériale

Le centre idéologique de l’augmentation ne se situe pas seulement dans une communication vis-à-vis du grand public sur une prétendue reconnaissance salariale, mais l’enjeu est aussi pour le gouvernement la mise en place du pacte. 

Au-delà de l’usine à gaz que cela va représenter — il n’y a qu’à voir comment se passent les remplacements dans le secondaire ou l’heure de soutien effectuée par des professeurEs des écoles le mercredi pour le comprendre — c’est l’aspect politique qui doit être décrypté.

Ce pacte est un saut qualitatif d’importance pour diviser le corps enseignant. En ayant créé un réel besoin salarial par appauvrissement de la profession, et en lissant les salaires au long des carrières, il devient la seule perspective d’augmentation pour les professeurEs en cette période d’inflation. Par ailleurs, la possibilité de rajouter des heures au-delà des horaires maximum de service, va encore accroître les inégalités entre femmes et hommes, entre profs valides et non valides, entre le premier et le second degré.

Ce salaire différencié, en fonction de l’acceptation ou non d’y entrer, puis de l’acceptation ou non de tout ou partie des missions, ­permet trois choses. 

Premièrement, il renforce une gestion managériale par la hiérarchie, direction d’école comprise depuis la loi Rilhac (décembre 2021), en lui donnant la possibilité de choisir qui pourra, ou non, signer le pacte.

Deuxièmement, grâce à cette gestion managériale, c’est la mise sous tutelle des pratiques. Il y a ainsi fort à parier que, par exemple, les enseignantEs du primaire auront un guide du soutien français/maths, corolaire des évaluations et des dispositifs de « remédiation » adulés depuis Blanquer. De la même façon, les missions de coordination ou autres feront des personnelEs des courroies de transmission des bonnes pratiques imposées par la rue de Grenelle. Comme l’écrit fort justement le chercheur militant Frédéric Grimaud « le salaire différencié est d’abord un levier de transformation du métier qui, inspiré des théories tayloriennes, participe à prolétariser l’enseignantE. Il permet de créer, par le truchement de diverses primes, un engouement vers de nouvelles pratiques professionnelles, de nouvelles normes de travail qui ne sont pas issues du métier mais d’une prescription descendante dont les professeurEs seraient les exécutantEs. »

Enfin, cette « primisation » du salaire — ce développement de la part des primes dans le salaire — est un formidable outil de casse de tout collectif : individualiser le plus possible c’est empêcher de faire du commun professionnel comme de résistance. Il est donc fondamental de tout faire pour que les organisations syndicales appellent les collègues à refuser de rentrer dans ce système.

Les résistances à construire, des victoires à conquérir

La campagne menée par la FSU-SNUipp le montre : 95 % des personnelEs sont mécontentEs. Il y a donc une résistance potentielle qu’il faut fédérer. Cette potentialité est un des acquis du mouvement des retraites. Les personnelEs de l’Éducation nationale se pensent plus qu’avant comme une réelle force de blocage : cesser d’exercer la fonction sociale de « garde d’enfants » oblige les parents à ne pas travailler, ce que le covid avait déjà démontré.

À ce jour, réclamer 500 euros de revalorisation pour toutes et tous sans contrepartie par l’ajout de points d’indice semble la revendication la plus unifiante pour l’ensemble des personnelEs de l’Éducation nationale. Elle concerne toutEs les personnelEs et n’isole pas les enseignantes et enseignants des AESH ou des personnelEs administratifs. Elle déjoue le piège du salaire différencié. Enfin, elle n’empêche pas d’autres revendications, comme l’augmentation générale du point d’indice.

La question salariale doit devenir une bataille d’importance, qui pourrait largement dépasser le stade corporatiste et s’étendre à toute la fonction publique, voire à l’ensemble du salariat. C’est une lutte hautement politique qui pose plus que toutes les autres la question de la répartition des richesses. L’organiser devrait être mis partout à l’agenda des organisations syndicales : les possibles existent, il faut les saisir.