« Qui veut la peau de l’enseignement professionnel ? » pourrait-on se demander quand on en est à la troisième réforme en 15 ans. Indéniablement, tous les gouvernements qui se sont succédé sur la période, chacun poursuivant les dégâts, d’autant plus insupportables qu’ils ont été annoncés par celles et ceux qui les subissent et par leurs syndicats.
Les ministres bégaient. Xavier Darcos : « Puisque l’objectif d’insertion est prioritaire dans la voie professionnelle, nous tenons aussi à prendre en compte les besoins spécifiques de certains domaines d’activité comme l’hôtellerie ou la restauration qui recrutent largement au niveau V. […]. La rénovation de la voie professionnelle, c’est donc, pour les élèves, des chances accrues de réussir leur insertion sur le marché du travail1. »
J.-M. Blanquer : « La transformation que nous avons engagée vise à positionner l’enseignement professionnel comme levier majeur de la qualification de nos élèves. Ce nouveau lycée doit transmettre, plus encore aujourd’hui, l’excellence des savoirs professionnels, afin de former aux métiers de demain, et de faire de nos établissements l’avant-garde de la révolution numérique et de la transition écologique. Ce sera dans l’intérêt de nos élèves qui s’ouvriront ainsi de très belles voies d’avenir. Et ce sera dans l’intérêt de notre pays car nos entreprises et nos services publics ont grand besoin de personnes qualifiées2. »
P. Ndiaye : « Avec la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels Carole Grandjean, nous nous engageons […] à transformer la voie professionnelle pour qu’elle assure l’avenir de tous les élèves, au plus près de leurs besoins et de leurs aspirations, et réponde à notre promesse républicaine d’égalité des chances3. »
Des ministres qui se gargarisent de soi-disant « besoins et aspirations des élèves », d’augmentation de leurs « chances et compétences », qui affichent de prétendues « réponses aux besoins des entreprises et des services publics »… sans jamais tirer les leçons de ce qui a été fait. La modélisation absolue de ce qui détruit l’existant. Mais ce n’est que l’habillage d’une politique qui sait où elle va.
Le laminage de l’enseignement professionnel
« Seuls 43 % des détenteurs du BEP sont insérés dans le marché du travail sept mois après son obtention » déclarait-on au ministère en 2008 pour justifier le passage du Bac Pro de 4 à 3 ans. Résultat : le BEP a disparu, mais avec lui 25 % du temps de formation des élèves de LP, ce qui équivaut à 612 h d’enseignement professionnel sur 3 ans. De là à voir un lien avec les difficultés d’insertion des élèves titulaires d’un Bac pro ? Mais pas du tout pour les ministres, puisque le Bac pro Blanquer ce sont 300 heures de cours en moins sur 2520 au total.
Donc, pour un tiers d’une classe d’âge, moins de connaissances professionnelles, c’est plus de difficultés pour trouver un emploi. Moins d’acquis généraux, c’est la poursuite d’études qui devient un mirage, sans parler d’envisager une réorientation.
« L’adéquation » aux besoin des entreprises
C’est la ligne directrice de la dernière brique de cette entreprise de démolition. Les entreprises de la « start-up nation » ont besoin d’une main-d’œuvre docile et efficace. Donc lire, écrire, compter, utiliser les outils numériques ! Surtout ne pas réfléchir, interroger, rêver…
La brutalité inédite d’une réforme annoncée en mai pour la rentrée de septembre suivante est un concentré de violence pour les élèves et leurs professeurEs. Les formations dont « l’employabilité » n’est pas suffisante seront fermées et d’autres répondant aux bassins d’emploi ouvertes. Ce qui veut dire un plan social pour des milliers d’enseignantEs contractuelLEs, une reconversion forcée pour d’autres. Pour les élèves, la voie professionnelle était le plus souvent une orientation contrainte et un choix par défaut, dynamiques qui vont se renforcer. Par exemple, dans le dossier de presse ministériel, pour l’académie de Créteil, on fermerait des formations tertiaires, très féminisées, pour ouvrir des formations industrielles très masculines. Et l’affichage est le renforcement du besoin de main d’œuvre dans la restauration et… le nettoyage ! Pourquoi pas l’option femme au foyer ?
Les carottes de « l’indemnisation des stages » pour les élèves et du doublement du « Pacte » (7 500 euros) pour les enseignantEs ne sont que la marque supplémentaire du mépris pour celles et ceux que cette réforme prétend assigner dans un territoire, dans un rapport de domination. Il y a urgence à s’y opposer et à exiger l’ouverture d’une véritable discussion sur la place et le rôle de l’enseignement professionnel par et pour les élèves et les professionnelLEs. Et 7 500 euros, cela fait 627 euros par mois d’augmentation de salaire pour toutes et tous !