En mars 2021, Blanquer se félicitait des résultats de ses évaluations en CP, estimant1 que « les effets du confinement ont été effacés ». Comme si une évaluation permettait de mettre fin à l’insécurité sociale et scolaire liée à la pandémie. C’est un des objectifs fondamentaux du ministre : l’ensemble des problèmes de l’École se résolvent grâce aux évaluations.
Pour Blanquer, il est essentiel de repérer les aptitudes « naturelles » par des évaluations nationales régulière : en CP, CE1, 6e, seconde et CAP. Loin de toute utilité pédagogique, ces tests ont comme finalité une orientation précoce et définitive des jeunes. Force est de constater que le temps de l’évaluation n’est pas un temps d’apprentissage. Ce temps est définitivement perdu pour la construction des savoirs.
L’évaluation à tous les étages de la société
Un argument avancé en faveur des évaluations (quelle qu’en soit la forme) est que les jeunes doivent « apprendre à être évalués » par la société. Effectivement, après chacun de nos achats, nous sommes invités à noter les salariéEs (en étoiles ou en smiley). Si l’argument est imparable, il mérite néanmoins d’être interrogé. Laurent Carle2 constate : « Si, autrefois, la notation a pu mesurer les acquis, aujourd’hui elle évalue surtout les performances individuelles et les capacités d’adaptation à une école du chacun pour soi. Elle mesure aussi la conformité ou l’écart à la norme. » Et c’est précisément ce qui se passe dans le monde du travail. Les notes ont pour but d’une part d’accélérer les cadences et la productivité, c’est-à-dire augmenter le taux d’exploitation. Et, d’autre part, d’individualiser le rapport au patron par des primes et des sanctions. La défense des salariés commence par refuser cela, et essayer d’imposer un rapport de force collectif. Ce faisant, notre courant politique se doit de réfléchir à l’intérêt des évaluations dans le cadre scolaire.
Il n’y a pas d’évaluation objective
Les notes sur 10 (puis sur 20) introduites par les lois Ferry de 1881 méritent qu’on s’y attarde. Jacques Nimier3 attribue la paternité de la docimologie (la science sur les différents moyens de contrôle de connaissances) à une expérience d’Henri Laugier en 1930, sur la correction par deux enseignantEs de copies de l’agrégation d’histoire-géo : « la moitié des candidats reçus par un correcteur était refusée par l’autre ». Laugier montre que la double correction n’est pas suffisante. Pour avoir une note « exacte », il faudrait, suivant la discipline, entre 127 correcteurs (en philosophie) et 13 correcteurs (en mathématiques) par copie… De nouvelles expériences ont été menées dans les années 1970 et 19804, dont les résultats sont surprenants : la même personne peut donner des notes différentes à la même copie, suivant le moment ou l’année où iel corrige ou suivant la place de la copie dans le paquet. Et cela, quelle que soit la discipline, y compris en mathématiques.
Le problème ne réside pas uniquement dans le barème et le caractère du correcteur/trice, mais également dans le sujet choisi, c’est-à-dire dans l’aspect subjectif de l’évaluation (et de son auteurE). Par exemple, demander « On achète deux pains, on donne dix euros, la marchande rend six euros ; quel est le prix d'un pain ? » ne relève pas de la même démarche cognitive que « résoudre l’équation 2 x + 6 = 10 », ni même de « résoudre l’équation 2 000 x + 6 000 = 10 000 ». Et pourtant, à chaque fois la réponse est identique5. Comprendre, cela c’est admettre que l’évaluateur passe également un examen : celui de savoir s’iel a réussi à transmettre des connaissances à un nombre satisfaisant d’élèves (de son point de vue). Il y aurait alors à discuter de la constante macabre6 : « inconsciemment les enseignants s'arrangent toujours, sous la pression de la société, pour mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. » Ainsi qu’un certain pourcentage de bonnes notes. Et cela, quel que soit le groupe d’élèves. Le contenu de l’évaluation est adapté en conséquence.
Dernier biais subjectif : les jeunes. Le rapport à l’École et aux savoirs n’est pas le même dans chaque sphère familiale7. Aucune évaluation ne pourra être totalement objective et ne peut prétendre être le reflet des aptitudes spontanées ou acquises uniquement dans le cadre scolaire. En d’autres termes, les évaluations légalisent la reproduction des classes sociales. En outre, les conditions de l’épreuve influencent les résultats. Passer les évaluations du baccalauréat — les E3C – sous pression policière (comme on l’a vu l’année dernière), ou bien à l’issue d’un mouvement lycéen victorieux n’ont pas les mêmes conséquences. Les E3C vont être abandonnées en 2022, tandis que le bac qui a suivi le mouvement lycéen de 2005 a eu un taux de réussite record8 pour l’époque.
Les épreuves nationales terminales (comme le baccalauréat) permettent un contrôle rétroactif de l’École sur les enseignantEs : les évaluations de l’année ainsi que les enseignements se devaient de correspondre, peu ou prou, aux attentes de l’examen et cela partout sur le territoire. Dans cette logique, les notes du bac pouvaient apparaitre comme « objectives », du moins « valables partout sur le territoire ». Mais Blanquer s’est attaché à casser ce thermomètre pour soigner le malade. Mathiot, principal artisan du nouveau bac, en rêve9 : « la réforme amènera chaque enseignant à mettre ses méthodes de notation sur la place publique du lycée. » Celui qui a rendu le bac local, exige maintenant une explicitation par chaque professeurE. C’est le monde à l’envers.
En finir avec les évaluations !
Au fond, le problème n’est pas une question de méthode. Les structures militantes (politiques, syndicales, associatives) n’ont pas recours à des évaluations et ce sont pourtant de très bons cadres de formation collective. C’est par ce prisme qu’il faut réfléchir à l’École que nous voulons : les discussions et les pratiques collectives augmentent les connaissances de touTEs. Nous sommes favorables à des systèmes d’autoévaluation, et d’autocorrection, où chacun évalue ce qu’il a produit (y compris l’enseignantE), ainsi que la critique constructive du groupe. Nous sommes radicalement opposés à toute forme de contrôle individuel et à la sélection arbitraire qu’il entraine. Nous voulons une École qui soit un lieu d’émancipation et de coopération.
- 1. « Jean-Michel Blanquer se félicite des résultats des évaluations en CP », Le Figaro, le 9 mars 2021.
- 2. Laurent Carle, « La notation, les maitres, la pédagogie », publié en 2008 sur le site de Philippe Mérieu.
- 3. Jacques Nimier, « Évaluation et docimologie », intervention au séminaire APMEP 2011.
- 4. Voir http://www.PedagoPsy.eu/…. Les exemples cités dans cet article sont issus de cette page.
- 5. Si vous savez, écrire au journal qui transmettra.
- 6. André Antibi, « La constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d'élèves », Math'Adore, 2003.
- 7. Bernard Lahire, Enfance de Classe, Seuil, 2019
- 8. Le Monde, 12 juillet 2005.
- 9. « La fin du bac national ? Pierre Mathiot répond aux critiques », L’Obs, 3 juillet 2021.