Macron et Blanquer font de l’enseignement professionnel et l’apprentissage un axe majeur de leur politique libérale. Cela suppose des transformations importantes, que la pandémie rend possibles aujourd’hui.
La jeunesse des milieux populaires, issue des zones rurales ou des quartiers populaires qui est largement1 scolarisée dans les lycées pro s’est retrouvée particulièrement percutée par la crise sanitaire : les jeunes et leurs familles ont été plus touchés que d’autres par la maladie.
Elle fait aussi les frais d’une politique de démantèlement de l’enseignement professionnel public alors que la crise sanitaire a fragilisé nombre de ces jeunes. Les conditions d’apprentissage des élèves et de travail des personnels se sont faites de manière dégradée tout au long de l’année. Moins de cours, des enseignements professionnels difficiles à mettre en place avec les consignes sanitaires et les gestes barrières, des stages (Période de formation en milieu professionnel, PFMP) pas toujours réalisables dans de nombreux métiers.
De son côté, le ministre n’a pas manqué d’afficher son mépris à de nombreuses reprises en oubliant régulièrement l’enseignement professionnel dans ses interventions télévisées censées donner le « la » durant la pandémie. Loin de répondre aux difficultés du secteur, le ministère s’est montré peu réactif aux demandes d’aménagements des périodes de stage, des programmes et des examens. Élèves et personnels sont restés livrés à eux et elles-mêmes tout au long de l’année.
Pourtant la période que nous vivons a montré l’utilité sociale de nombreuses professions dans le tertiaire, la manutention, les métiers du soin… métiers pour lesquels les jeunes se forment en lycées pro. Mais avec la poursuite à marche forcée tout au long de l’année de leur politique dite de « transformation de la voie professionnelle », Blanquer et le gouvernement ont fait le choix de continuer la casse de l’enseignement professionnel public.
Blanquer s’attaque à l’enseignement professionnel sous statut scolaire
La disparition de fait du BEP, diplôme délivré en fin d’année de première, va pénaliser une partie des élèves. Ceux qui ne vont pas jusqu’au bac seront plus nombreux à quitter la scolarité sans aucun diplôme.
La diminution drastique des heures d’enseignement, en particulier pour les matières générales, va fragiliser la scolarité des élèves les plus en difficulté et diminuer pour toutes et tous l’ouverture culturelle et les possibilités de poursuite d’études. Depuis des années, les gouvernements successifs prétendent revaloriser l’enseignement professionnel alors qu’ils font l’inverse : les élèves avaient perdu 692 heures d’enseignement pro en 2009 du fait du passage du Bac pro de 4 à 3 ans. Avec la réforme en cours, ce sont 292 h supplémentaires qu’elles et ils perdent. Cette réforme leur fait perdre le tiers des heures de français et histoire-géographie, presque autant en langues vivantes en Bac pro et la moitié des heures en CAP.
De plus, la mise en place de « familles de métiers » (en Seconde les spécialités de bacs pro sont regroupés par « familles de métiers » et le choix du métier se fait en Première) depuis 2019 aggrave encore la « déspécialisation » professionnelle des élèves. Ce système de « familles de métiers » ne s’applique pas dans les Centres de formation des apprentis (CFA) qui peuvent ainsi attirer davantage les jeunes les plus motivés par un métier.
Cette « réforme » renforce le tri social des jeunes lycéens professionnels. Ainsi à la fin de la Première pro, les élèves devront choisir entre un module qui leur permettra d’avoir un peu plus d’enseignement général, en vue d’une poursuite d’études, et un module les conduisant vers la « vie active ». Évidemment, tout le monde ne pourra pas choisir le module « poursuite d’études ». Blanquer l’a rappelé : pour lui, le bac pro est avant tout un bac qui prépare à aller travailler. On revient donc sur la possibilité pour les détenteurs d’un bac pro de faire des études supérieures. En plus, comme pour la voie générale, l’obligation de choisir des modules et des options très en amont contraint les choix d’orientation ouverts aux élèves tout en faisant peser la responsabilité d’un éventuel échec sur ces choix. Ce système s’articule totalement avec la philosophie de Parcoursup.
De manière plus globale, c’est la fin de la spécificité de l’enseignement professionnel comme formation à un métier sans renoncer aux enseignements généraux qui éveillent l’esprit critique et permettent aux jeunes d’envisager une poursuite d’études à un moment ou un autre de leur vie. En vidant de toute substance tant professionnelle que générale les programmes de l’enseignement pro, le gouvernement met en œuvre un projet : les lycées pro sont là pour compléter les compétences de base, lire et comprendre les consignes et surtout connaître et accepter la place d’exécutants passifs mais rentables qui sera celles de nos élèves.
Cette « réforme » a aussi un objectif comptable avec la suppression de nombreux postes d’enseignants (plusieurs centaines pour la rentrée 2021), l’augmentation des heures supplémentaires et la sous-dotation généralisée des LP en heures d’enseignement qui ne permet même pas d’assurer auprès des élèves les horaires inscrits dans les textes réglementaires ! Pour les enseignants, il faut ajouter la mise en place de nouveaux dispositifs (co-intervention, « chef d’œuvre ») qui participent fortement à la perte de sens du métier. Les enseignantEs des matières générales vivent cela comme une mise au service de l’enseignement pro. Pour les enseignements pro, la diminution et la dilution des heures d’enseignement est vécue comme une déprofessionnalisation des formations. Au final, les enseignantEs sont conscientEs de moins bien préparer les élèves au monde professionnel et plus généralement à la vie en société.
En 2019, les enseignantEs, fortEs de ces réalités, se sont fortement mobiliséEs pour dire leur refus de ces contre-réformes. Après un an et demi de crise sanitaire et la fragilisation généralisée des cadres de travail et des cadres collectifs de mobilisation, il est nécessaire de reconstruire une mobilisation qui articule un mouvement de grève des personnels et la mobilisation de la jeunesse qui a d’autres aspirations que l’avenir que veulent lui imposer le gouvernement et le patronat.
Une politique pro apprentissage au service du patronat
La casse de l’enseignement pro est renforcée par la mise en œuvre de la loi Pénicaud de 2018 dite de « liberté de choisir son avenir professionnel » (sic). En modifiant l’affectation de la taxe d’apprentissage, la loi permet d’assécher le financement en équipement de l’enseignement professionnel et technologique. En 2021, les lycées pro et technologiques ne vont toucher que 28 millions d’euros alors qu’ils percevaient 50 millions avant la réforme, sans aucune compensation de l’État ou des régions. Le gros de la taxe (87 %) va désormais directement à l’apprentissage. L’objectif est clair : on déshabille le service public au profit d’un apprentissage confié à la responsabilité des entreprises… Apprentissage qui a par ailleurs bénéficié en raison de la pandémie de plus d’un milliard d’euros débloqué par l’État ! Le gouvernement veut donc, comme les précédents, développer l’apprentissage en multipliant les facilités offertes au patronat même si celui-ci n’est pas partant pour prendre en charge touTEs les jeunes dès la sortie du collège (il est bien plus intéressé par l’apprentissage post-bac).
Alors que tout est mis en place pour offrir au patronat encore plus de main-d’œuvre peu coûteuse et corvéable à merci, il est urgent de défendre un autre projet pour l’émancipation de la jeunesse. Il faudra en particulier revenir sur le découpage imposé par une vision libérale du monde entre un enseignement pro, technique et général qui fait du lycée pro, en particulier, le lieu d’encadrement social de la jeunesse en attendant son entrée sur le « marché du travail ». o
- 1. En 2018, 57,2 % des élèves en formation professionnelle étaient d’origine défavorisée. On constate qu’à l’issue du collège, ces élèves sont davantage orientéEs en lycée pro, plutôt qu’en lycée général. Lire DEPP. Repères et références Statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2019.