Publié le Lundi 2 novembre 2020 à 16h46.

La LPPR au Sénat : l’État en guerre contre les libertés académiques

Début 2020, le monde universitaire s'était largement mobilisé contre la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), dont l'avant-projet laissait présager une profonde aggravation en matière de précarisation des personnels et de mise en concurrence des laboratoires de recherche dans la course aux crédits. Après une courte suspension du projet de loi pendant le confinement, le gouvernement est revenu à la charge dès le mois de juin. La Loi de programmation de la recherche (LPR) a ainsi été adoptée à l'Assemblée le 24 septembre.

 

Face à l'opposition persistante de la majorité du monde universitaire et de ses instances, le Sénat a fait le choix, lors de son examen de la loi jeudi 29 octobre, de renchérir sur les attaques contre les universitaires. À la veille de l'acte II du confinement, il a ainsi voté trois amendements visant à discipliner le monde universitaire, et notamment les chercheurEs et enseignantEs-chercheurEs, mobilisés en début d'année comme ils et elles ne l'avaient plus été depuis 2009.

 

Limiter drastiquement les libertés académiques

Le Sénat a ajouté un article stipulant que « les libertés académiques sexercent dans le respect des valeurs de la République ». Cet ajout, que Frédérique Vidal a déclaré soutenir, s’inscrit évidemment dans la droite ligne des propos de Jean-Michel Blanquer, pour qui « ce qu'on appelle lislamo-gauchisme fait des ravages à luniversité ». Blanquer, Vidal et le Sénat surfent ainsi de manière ignoble sur l’émotion suscitée par les récents attentats pour mettre le monde universitaire au pas. Ils mobilisent pour cela une notion très floue mais dont la formulation, au plan linguistique, donne l’impression qu’elle désigne une réalité précise et consensuelle :

- l’article défini (« les » et pas « des » valeurs) donne l'impression qu'on peut en dresser une liste fermée et faisant consensus ;

- le mot « valeurs » convoque une connotation positive : une chose qui a de la valeur est une chose bonne ;

- en les définissant comme « de la République », on attribue à ces dites valeurs un caractère universel ; mais en fait, nulle part ces valeurs ne sont définies.

Cette formule fait référence à quelque chose qui n’a pas d’existence légale, et qui ne fait absolument pas consensus ; elle peut ainsi être utilisé à tort et à travers pour réprimer les discours savants qui questionnent un peu trop le cadre de pensée dominant. Ou comment, au nom de la défense de la liberté d'expression... limiter celle des universitaires !

Un an de prison pour délit d'entrave aux débats

Le Sénat a également voté la création d'un délit d'entrave à un débat se tenant dans une université. L'intention suffit à caractériser ce délit, puisque « pénétrer ou se maintenir dans lenceinte dun établissement denseignement supérieur […] dans le but d'entraver un débat » serait puni d'un an d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende : un outil supplémentaire ajouté à l'arsenal permettant de réprimer les étudiantEs et personnels mobilisés. Avec cet amendement, nos collègues d'Angers n'auraient par exemple pas pu se rassembler il y a quelques jours devant l'université pour protester contre la venue de Frédérique Vidal.

Réduction drastique du rôle du Conseil national des universités (CNU)

Le dernier amendement voté jeudi permet de recruter, sur des postes stables, des enseignantEs-chercheurEs (EC) n'ayant pas obtenu la qualification nationale délivrée par le CNU. Présenté comme une expérimentation, il s'agit en fait d'une étape supplémentaire vers la fin du statut national de fonctionnaire des EC. Alors que ces dernierEs sont déjà recrutés directement par les universités, et non pas sur concours national comme dans le secondaire, l'éviction du rôle du CNU dans les recrutements ouvre la voie aux exigences locales et à la transformation des EC en salariéEs d'une et une seule université, sur le modèle néolibéral.

Si c'est l'Assemblée nationale qui statuera sur le devenir de ces amendements, le soutien affiché de Frédérique Vidal aux dispositions prises par le Sénat ainsi que les récents propos de Jean-Michel Blanquer annoncent la couleur. Alors que la LPR enfonce un coin de plus dans un système universitaire déjà asphyxié, il va falloir urgemment reprendre la bataille !