Publié le Lundi 13 septembre 2021 à 12h00.

La précarité au service d’un projet éducatif réactionnaire : du constat aux premières résistances

En 2020, l’Éducation nationale compte parmi ses personnels 19 % de contractuelLEs, embauchéEs en dehors du statut de la fonction publique. 7 % des enseignantEs sont en CDD ou en CDI. Dans ces deux cas, les enseignantEs coûtent 18,6 % moins cher qu’unE enseignantE certifiéE, et n’occupent pas un poste fixe. Cela entraîne une précarité importante même pour les CDI, baladéEs d’un établissement à un autre, dans la crainte permanente d’une mauvaise évaluation, d’une sanction sur le renouvellement du contrat et/ou sur l’affectation géographique pour l’année qui suit.

Les assistantEs d’éducation (AED1), pédagogiques (AP) et de prévention (APS) dans les collèges et lycées, les animateurs/trices des temps périscolaires dans les écoles et des centres de loisirs, et les accompagnateurs/trices d’élèves en situation de handicap (AESH), sont entièrement recrutéEs en emplois précaires.

Certaines fonctions éducatives exclusivement vouées à la précarité

Les AED sont recrutéEs sur des CDD d’un an renouvelable maximum six ans. Les animateurs/trices sont recrutéEs en CDD par certaines mairies, ou par des prestataires privés, morcelant les conditions d’emploi d’une structure à l’autre. Les AESH, recrutéEs en CDI, ne sont pas épargnéEs, avec des contrats de type 24h par semaine pour 740 euros net mensuels.

La caractéristique commune des contrats est la non-prise en compte des temps d’élaboration des projets et activités pédagogiques, de suivi des élèves, de concertation des équipes pluriprofessionnelles. Ce travail, non rémunéré et non reconnu, est pourtant indispensable et inévitable. De plus, ces personnelLEs sont tributaires d’emplois du temps fractionnés, pouvant aller jusqu’à travailler trois fois par jour entre 7h et 19h et cinq jours par semaine tout en étant à temps partiel… Ces différents emplois ont donc plusieurs points communs :

• la combinaison entre temps partiel imposé et salaire plafonné au SMIC se traduit par des salaires mensuels entre 300 et 1000 € par mois,

• des sous-effectifs structurels, avec une charge de travail non reconnue,

• une formation défaillante ou mal reconnue,

• une position subalterne dans l’institution qui les maintient à la marge des équipes éducatives et pédagogiques.

Mise au pas et désintégration de l’éducation

Le recours à la précarité a bien évidemment pour objectif de faire baisser le prix immédiat du travail, mais pas seulement. La précarité permet d’accentuer la pression hiérarchique, l’insécurité permanente pousse à la docilité. Dans un contexte de profondes réformes, cette dimension coercitive joue un rôle important pour affaiblir les résistances, y compris sur le plan pédagogique.

L’instabilité des précaires se traduit par une instabilité générale des équipes professionnelles, sans cesse renouvelées. Cela entrave le travail en équipe, la constitution d’une communauté scolaire à dimension humaine, ou chacunE – élève ou adulte – est connuE et reconnuE.

Ces deux mécanismes, de coercition d’une part, et de déstabilisation des équipes, d’autre part, se nourrissent l’un l’autre et affaiblissent non seulement les capacités de mobilisation mais aussi les capacités de construire des projets éducatif et pédagogiques liant apprentissages disciplinaires, sociabilisation, formation démocratique et vie collective. Ces liens sont indispensables à l’école émancipatrice que nous souhaitons.

À l’inverse, la dégradation générale des moyens humains, le sous-effectif structurel, se traduit par des tensions extrêmes entre les droits et libertés des enfants et la vie de groupe, produisent des écoles casernes que le ministre voudrait bien réduire au triptyque instruire/surveiller/punir. C’est une source de souffrance pour les élèves et pour les personnels qui ont une ambition éducative tournée vers l’émancipation.

Pour les élèves en situation de handicap, c’est la double peine. Les AESH – dont la mission est de permettre l’école inclusive – ne bénéficient d’aucune formation, ni sur le handicap ni sur les ressources, pour faciliter l’inclusion des élèves. RéduitEs à la précarité et non considérées par l’institution, ils et elles se voient imposer des charges de travail incohérentes avec leur mission, comme aider simultanément plusieurs élèves avec des besoins différents dans un même cours.

La révolte sonne et se structure

Le 1er décembre 2020, des centaines de vies scolaires étaient en grève, suite à la dégradation des conditions de travail liée à la crise sanitaire. Dans la foulée, des collectifs, via Facebook, ont vu le jour dans de nombreux départements. Ces collectifs se sont organisés au sein d’une Coordination nationale des collectifs d’AED (CNCA) qui a permis d’harmoniser les revendications, les temps de grève et les modes d’action. La dynamique et la détermination se sont maintenues, avec une semaine de mobilisation du 22 au 26 mars qui a été un succès en termes de taux de grévistes. En revanche, les collectifs reposaient sur un nombre réduit d’AED. Quoi qu’il en soit, des liens se sont tissés, des réseaux se sont constitués. Cela représente de précieux acquis pour les luttes futures. La CNCA a par ailleurs appelé à soutenir les journées de grèves des AESH, marquant une volonté de convergence. En parallèle les animateurs/trices se mobilisent selon des modalités similaires, via des pages Facebook « animation en lutte », qui mobilisent depuis plus de deux ans dans certaines villes. Les syndicats ont davantage pris en charge la défense des AESH qui manifestent également une volonté de se lier aux autres secteurs de l’éducation.

Statuts, salaires, formation, embauches : des revendications unifiantes

Aujourd’hui une minorité d’AED sont étudiantEs, d’où l’émergence de la revendication d’un statut pérenne. La création d’un métier d’ « éducateur scolaire », regroupant un statut classique de la fonction publique et un statut spécifique étudiant, est mise en débat. Ils et elles revendiquent leur pleine intégration aux équipes éducatives, accompagnée d’une vraie formation et des embauches massives, la fin des temps partiels imposés, une revalorisation salariale.

La question des salaires, de la formation se retrouvent dans les revendications des AESH tout comme celle de la prise en compte du travail invisible, des temps partiels imposés et contre le fractionnement des emplois du temps chez les animateurs/trices.

Toujours premierEs de corvée de l’éducation, la lutte contre la précarité, pour l’augmentation des salaires et une réelle reconnaissance des missions ne fait que commencer ! De premiers jalons d’une lutte commune des précaires de l’éducation ont été posés, mais il sera nécessaire de les renforcer, et d’y impliquer les personnels titulaires et les parents d’élèves car au fond, il s’agit de savoir quelle école nous voulons pour les nouvelles générations.

  • 1. Le terme générique d’AED est utilisé pour ces trois fonctions (AED, AP, APS) dans la suite de l’article, car elles constituent les équipes de « vie scolaire ».