L’annonce de la réouverture progressive des écoles le 11 mai prochain a surpris tout le monde. Avec plus de 12 millions d’élèves, plusieurs centaines de milliers d’agentEs, l’enjeu est de taille : la potentialité d’un second pic épidémiologique.
Et quand on annonce en parallèle que tous les rassemblements mais aussi tous les lieux de culture, de divertissement et de sociabilité resteront fermés, forcément, ce choix fait plus qu’interroger.
La transparence sur les choix : un enjeu politique
Pour Macron, la réouverture des écoles ne serait guidée que par une seule nécessité, la lutte contre les inégalités : « la situation actuelle creuse des inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. Dans cette période, les inégalités de logement, les inégalités entre familles sont encore plus marquées ».
Passons, même s’il fait plaisir, sur le camouflet que ce propos inflige à Blanquer, fer de lance d’une « continuité pédagogique » dénoncée par les enseignantEs comme par les parents justement pour les inégalités qu’elle génère.
Par contre, impossible pour tous les profs de ne pas s’étrangler en entendant ces propos. Alors qu’en ce moment même, des classes ferment en REP et REP+, alors que pendant des années c’est le rural qui a été sacrifié, alors que tous les dispositifs de soutien aux élèves en difficulté comme le RASED sont démantelés, la petite musique ne passe pas et ne dupe personne.
Si la raison n’est pas l’égalité, alors nous sommes quand même en droit de nous demander pourquoi rouvrir les écoles dès le 11 mai ? Il y a une raison toute simple : si les enfants retournent à l’école, les parents peuvent retourner bosser… et l’économie peut « reprendre ».
D’ailleurs poser la question du « quand » avant de poser celle du « comment » montre bien que le souci n’est pas autre : la seule urgence est de relancer la machine productive pour sauver le profit qui peut encore l’être.
Si la réouverture est par ailleurs progressive et concerne en premier lieu les gamins des quartiers populaires, nous refusons un déconfinement de classe qui consisterait à faire courir plus de risques aux élèves les plus défavorisés. Si l’école rouvrait, c’est qu’elle serait en capacité de le faire pour toutes et tous les élèves. Le cas échéant, si elle ne pouvait rouvrir, l’État devrait se pencher immédiatement sur des solutions (colonies de vacances en effectif réduit, ouverture de centres de loisirs…) permettant de rendre le confinement plus vivable pour ces enfants, au moment où l’été va s’installer.
Il y a une réelle bataille politique à mener, celle de qui décide sur la base de quoi. Il faut exiger dès maintenant la publicité de tous les avis du comité scientifique… et refuser que ce soit l’économique qui prime sur la santé : à l’école comme ailleurs, nos vies valent plus que leurs profits.
Se confronter dès maintenant aux conditions de la réouverture
Néanmoins, il faudra bien à un moment se confronter à la question de la reprise de l’école. Et là-dessus, il n’y a pas à transiger. L’enjeu est bien la garantie de la sécurité maximum pour les élèves comme pour les personnels. Que ce soit en termes de tests préalables, d’équipements (masques mais aussi de quoi se laver les mains, etc.), en termes d’aménagement des espaces pour respecter la distanciation physique, et aménagement des temps scolaires si on veut limiter les regroupements lors des récréations par exemple, ou dans les transports scolaires, les cantines… Sans oublier l’entretien des locaux, laissés de côté par les collectivités avec les coupes dans les postes d’agents territoriaux.
Et puisque les enfants de maternelle ne peuvent pas respecter les mêmes règles que de plus grands enfants, alors il faudra attendre pour les faire reprendre, ou chambouler complètement l’organisation scolaire, par exemple avec des demi-groupes, voire des quarts de groupes, et des tests quotidiens. Et, une fois de plus, on voit que c’est aux personnels de juger si les conditions sont réunies pour un accueil dans de bonnes conditions, pas la hiérarchie.
Aucune exception ne pourra être tolérée : sans le respect de ces règles, ce sera sans nous. Il ne faudra pas tergiverser et exercer son droit de retrait ou, le cas échéant, appeler les collègues à la grève.
Pour répondre à ces enjeux, il n’y a pas d’autres solutions que d’investir massivement dans l’éducation via un recrutement massif en donnant le concours aux listes complémentaires et aux admissibles des années précédentes pour faire baisser les effectifs dans les classes, en titularisant sans conditions stagiaires et contractuelEs. L’amélioration du bâti scolaire est nécessaire pour permettre de désengorger les classes… Toutes les revendications que nous portons depuis des années, et dont l’urgence saute maintenant aux yeux !
Informer et mobiliser la profession
Pour l’instant la profession est tiraillée entre d’une part un désir légitime de l’arrêt du confinement, de revoir collègues et élèves avant la fin de l’année et, de l’autre, le sentiment, tout aussi légitime, de ne pas être responsables d’une reprise de la pandémie, de ne pas être sacrifiéEs sur l’autel du profit.
L’important est donc de provoquer, malgré les vacances, malgré le confinement, la discussion. Dans nos structures syndicales, pousser à ce que des visioconférences d’information aient lieu. Transmettre les informations, les analyses à nos collègues… Rien ne pourra se faire si nous n’arrivons pas à convaincre qu’il faut refuser d’être de la chair à profit.
Préparer la résistance à une reprise précipitée et dangereuse, c’est préparer l’affrontement qui doit intervenir entre les responsables de cette crise, le système qui nous y a plongés, et nous les travailleurs et les travailleuses.