Publié le Mercredi 2 juillet 2025 à 10h57.

Émancipation sociale et psychiatrie émancipatrice

Sous la direction du Pr Antoine Porrot, la psychiatrie coloniale en Algérie est au service de la domination coloniale. Selon Porrot, « l’indigène nord-africain » est un être « primitif », sans cortex préfrontal, et donc « sans morale, ni intelligence abstraite, ni personnalité ». Fanon critique cette psychiatrie, qu’il considère comme un instrument de répression, expliquant que la criminalité et l’agressivité des coloniséEs sont des produits directs de la situation coloniale, et non le fruit d’une nature « raciale » inférieure.

Pour Fanon, la pathologie mentale du colonisé est indissociable des conditions sociales imposées par le colonialisme. Comme il l’écrit dans les Damnés de la terre : « la criminalité de l’Algérien, son impulsivité, la violence de ses meurtres ne sont donc pas la conséquence d’une organisation du système nerveux ni d’une originalité caractérielle, mais le produit direct de la situation coloniale ».

Fanon, tout en dénonçant la domination coloniale, met en place des solutions concrètes pour traiter les troubles psychiques engendrés par cette oppression. En Tunisie, où il s’installe après son expulsion d’Algérie, il ouvre à l’hôpital Charles-Nicolle un hôpital de jour, une initiative révolutionnaire à l’époque. L’hôpital de jour permet un diagnostic et un traitement précoces, tout en évitant l’internement et en préservant le plus possible la vie sociale du malade.

Fanon préconise la multiplication de petits services de psychiatrie rattachés aux hôpitaux généraux, avec une attention particulière à l’hospitalisation de jour. Il insiste sur la nécessité de garantir la liberté des malades et de retirer toute dimension carcérale et coercitive à l’internement.

Une psychiatrie de la dignité, de l’égalité et de la libération

Fanon défend l’idée que l’émancipation des individus, qu’elle soit sociale ou psychiatrique, ne peut être imposée par une autorité extérieure, mais doit résulter de la prise de conscience et de l’action de l’individu lui-même. Pour lui, la psychiatrie émancipatrice est celle qui traite les malades « avec » elleux, et non « contre » elleux. C’est un appel à une psychiatrie de la dignité, de la liberté et de l’égalité, qui reste d’actualité dans un contexte où la psychiatrie tend à se réduire à une « science du cerveau », de plus en plus axée sur les traitements médicamenteux et comportementaux. Les logiques de contrôle, de tri et de punition continuent de dominer nos institutions psychiatriques et la société dans son ensemble.

Les idées de Fanon constituent ainsi un appel à prolonger la lutte pour une psychiatrie respectueuse de la dignité humaine, une psychiatrie de la libération.