Entretien. Julia Gilger est enseignante en LP à Saint-Denis. Elle est aussi parent d’élève et engagée dans la lutte départementale pour donner plus de moyens à l’enseignement public.
Plus de 500 personnes en manif à Saint-Denis ce jeudi 20 novembre. Une belle mobilisation. Comment cela a été possible ?La rentrée à Saint-Denis a été particulièrement dramatique et catastrophique : 19 enseignantEs manquaient à l’appel dès le 1er jour de la rentrée, au moins 30 dans le 93. Des parents ont dû occuper un groupe scolaire dans lequel 9 enseignantEs n’étaient pas nommés, afin d’obtenir des remplaçants non formés. Des bibliothèques ou des salles informatiques sont transformées en salles de classe. Sans compter que la mise en place de la réforme des rythmes pose aussi des problèmes (manque de locaux, hausse non anticipée de la fréquentation des centres de loisirs...). C’est pourquoi dès le mois de septembre s’est tenue une assemblée générale de ville rassemblant parents, enseignantEs et animateurEs, pour discuter et préparer une mobilisation collective. À la fin des vacances de la Toussaint, des parents d’élèves réunis dans le collectif « Bonnets d’âne » ont réquisitionné un terrain pour l’occuper et apporter une visibilité sur le volet éducation nationale (création de postes, remplacement, formation, Rased, précarité enseignante, médecine scolaire...). La médiatisation a été spectaculaire et a permis une accélération de la mobilisation. Des parents et des enseignants (syndiqués Sud éducation) ont tourné dans les écoles, dans les salles des maîtres, pour préparer et mobiliser pour l’initiative du 20 novembre. Il s’agissait de construire cette manif de ville et dans la mesure du possible la manif à Paris. La première a été effectivement un succès.
Que sont les « Bonnets d’âne » ? Quel rapport avec la mobilisation de l’ensemble des écoles de la ville dont 42 étaient fermées ce jeudi ?Les « Bonnets d’âne » sont un groupe de parents de quelques écoles de la ville qui ont extrêmement bien préparé ce coup médiatique. Ils ont élargi leur initiative à d’autres et ce terrain occupé est devenu emblématique de la lutte pour plus d’égalité, plus de moyens, pour Saint-Denis. Le « Ministère des Bonnets d’âne », un terrain occupé, est devenu une sorte de quartier général pour entretenir et organiser la mobilisation. Il y a eu une invitation lancée aux enseignantEs, sur une pause déjeuner, pour venir se rencontrer et préparer la grève du 20, qui avait lieu la semaine suivante. Plus de 70 sont venus, beaucoup d’écoles étaient représentées. Le soir même, des écoles faisaient savoir qu’elles seraient fermées ce fameux jeudi.
La semaine dernière, suite à un début de mobilisation des lycéenEs le 10 novembre et après des agressions, la police a occupé la ville massivement, empêchant tout développement de la mobilisation lycéenne. Comment avez vous vécu cette situation ?Tous les acteurs (enseignantEs, parents, élèves, éluEs, riverainEs...) n’avaient pas la même lecture de la situation qui s’est déroulée sur plusieurs jours. Il a été très compliqué à la fois de faire la part des choses et en même temps de faire des liens : expliquer que des lycéenEs avaient envie de manifester, que d’autres ne savaient pas comment s’y prendre et exprimaient une colère, d’autres encore n’étaient plus lycéens, en perte de repère et se trompaient de cible. D’un côté, on manque cruellement de moyens dans le 93 et en plus on nous en retire. Tous les jours des jeunes décrochent du système scolaire. De l’autre, on envoie l’artillerie lourde pour exercer la répression : le quadrillage policier était démesuré, d’autant plus que le calme était revenu. Cette présence a été vécue comme une véritable provocation. Il est insensé qu’un tel dispositif ait pu être autorisé par la municipalité. À l’initiative de plusieurs organisations (syndicales, politiques, association de parents, étudiants, enseignants), un tract a été distribué en direction de la population. Toute la difficulté est de faire la jonction entre les revendications lycéennes et celles sur le manque de moyens dans le 93. C’est pas de flics dont on a besoin, c’est d’enseignantEs, c’est de formations pour les jeunes qui débouchent sur un futur.
La manifestation départementale de ce jeudi était à peine deux fois plus grosse que celle dans la seule ville de Saint-Denis...La mobilisation dionysienne a été stimulée par le collectif des « Bonnets d’âne ». Il y a aussi eu un travail de terrain de la part de parents et d’enseignantEs. En revanche, le point commun c’est qu’aucune des villes du 93 n’a été aidée, dans le cadre de la mobilisation, par la FSU (SNES, SNUipp), alors qu’elle était à l’origine de l’appel. L’intersyndicale a également eu du mal à se mettre d’accord sur l’essentiel. Je crois que l’ensemble de ces paramètres explique l’échec de la manif départementale.
Avant la manifestation, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Éducation nationale, a fait quelques déclarations et promis un certain nombre de choses. Tu peux dire ce qu’il en est ?Il n’y avait pas grand chose de neuf puisque les 6 demi-journées de formation avaient déjà été annoncées en octobre. La formation doit être conséquente et s’effectuer avant d’enseigner à des classes. Sur les 500 postes d’ici 2017... c’est de 1 000 tout de suite dont on aurait besoin pour l’ensemble du département. Le compte n’y est absolument pas. Il faut continuer à construire et à élargir la mobilisation à l’échelle du département, voire nationalement. Un plan d’urgence pour le 93 va forcément coûter cher si on ne veut pas sacrifier toute la jeunesse d’un département. C’est d’avenir dont on parle !
Propos recueillis par JMB