Publié le Mardi 7 septembre 2021 à 16h13.

Surveiller et punir dans l’éducation nationale

Jean-Michel Blanquer affirmait, dans un courrier adressé à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale le 9 juillet 2021 que « nous devrons également développer et faire rayonner cette énergie commune dont nous avons fait preuve pendant la crise […] : une équipe éducative soudée. »

La phrase pourrait prêter à rire ou à pleurer.

Le ministère n’a rien anticipé et rien prévu en amont. Les protocoles sanitaires ont tous été incohérents et changent régulièrement : accueil total à la rentrée pour tous, puis distanciel à l’université et dans les IUT, mais ni en classe prépa ni en BTS ; accueil en demi-jauge, puis aucun accueil autour des vacances d’avril pour les lycées, mais pas en collège ni dans les établissements privés. Aucun protocole pour les écoles, puis refus de la répartition des enfants dans d’autres classes… Sans compter les retards multiples : que ce soit pour la distribution des masques, des autotests (sans aucune formation), ou l’absence de vaccination massive… Bien loin de l’équipe éducative soudée, la gestion de la pandémie a été à l’image de la gestion globale actuelle du ministère.

Une gestion à la petite semaine

Ce mode de gestion regorge de néologismes et de faux-sens. Les injonctions contradictoires et les paroles magiques sont nombreuses : « soyez bienveillants » ; « baissez les notes des établissements laxistes » ; « vous avez toute liberté pédagogique dans vos classes » ; « suivez le manuel orange d’apprentissage de la lecture. » Alors que l’enseignement, c’est précisément se défaire des paroles magiques pour construire collectivement des connaissances.

Au-delà des apparats, le nouveau management public (NMP) est très fortement centralisé. Les décisions sont prises d’en haut, souvent annoncées d’abord dans la presse, avec la volonté que « l’intendance suivra ». Ainsi, le grand oral du baccalauréat annoncé l’été dernier a été modifié par voie médiatique le 6 mai, sans aucune mise en place effective. La cacophonie des épreuves mi-juin n’avait jamais été vue, de mémoire d’enseignantE. Les évaluations de CP, CE1, 6e et seconde, mi-octobre 2020, n’ont eu aucun impact pédagogique (si tant est qu’elles soient utiles, elles arrivaient beaucoup trop tard). Les injonctions contradictoires se sont multipliées tout au long de l’année, notamment sur les examens et le bac en particulier ; sans que jamais les personnels et les jeunes ne soient écoutéEs. Sans parler des mobilisations ponctuelles et locales contre les absurdités du protocole sanitaire, modifié quelques jours plus tard (par exemple les demi-jauges en 3e, au cas par cas) avec, néanmoins, le retrait du salaire des grévistes… De tels changements de cap, aussi importants et aussi réguliers finissent par donner le tournis.

La répression comme antidote

Bien loin de la « bienveillance » affichée dans sa loi, Blanquer s’assure que chaque personnel applique à la lettre ses consignes. La surveillance s’installe à tous les étages. Dernier exemple en date, le logiciel de correction en ligne des copies du bac (Santorin1) a permis aux corps d’inspection de savoir en temps réel combien de copies chaque prof avait corrigées, quitte à en ajouter pour les profs « rapides » et à taper sur les doigts des profs jugéEs « trop lents ».

Dans leurs mobilisations, jamais les enseignantEs et les jeunes n’avaient connu une telle répression. Depuis trois ans, les commissions disciplinaires se sont multipliées quelle qu’en soit la raison (à Bobigny, Melle, Bordeaux, Dijon, Rennes, Clermont-Ferrand, Saint-Denis…). Les policiers sont venus encadrer le bon déroulement des épreuves, parfois même jusque dans les établissements scolaires. Blanquer lui-même a contesté, à l’Assemblée nationale, le contenu d’un stage syndical antiraciste. Et qu’importe si le tribunal administratif a finalement donné tort au ministre2, le mal est fait. Il s’agit ici de mater les récalcitrantEs et surtout de faire peur à chaque personnel qui voudrait se rebeller. Ces méthodes de management par la terreur rappellent celles de France Telecom, en 2008-2009 ou plus récemment à La Poste. La violence symbolique et l’épuisement des personnels est un axe majeur du ministère actuellement, dont la conséquence va jusqu’au suicide, comme Christine Renon en septembre 2019.

Et ce n’est malheureusement pas fini. Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publique (tout un programme), précise3 que : « Pendant la crise sanitaire […] les manières de décider ont été facilitées et donc accélérées, par exemple en cassant certains silos ministériels. Il faut donc poursuivre cette dynamique d’engagement bénéfique pour les agents publics. […] Cela nécessite aussi une formation des agents et de leurs managers. » En d’autres termes, le gouvernement a profité de l’apathie et du manque de réaction du mouvement social pendant la pandémie et il ne compte pas s’arrêter là. Il est urgent de dénoncer ces méthodes de management destructrices et de refuser la répression. Notre force réside dans notre nombre et notre capacité à réagir collectivement.

  • 1. Pour plus de détail, lire J. Grau, « Comment Blanquer tua le bac ». Blog Médiapart, 12 juillet 2021.
  • 2. « Stage antiraciste : Nouvelle victoire de Sud Éducation 93 », Le Café Pédagogique, 7 juillet 2020.
  • 3. Amélie de Montchalin : « Le rôle de l’État ne doit pas être seulement celui d’un pourvoyeur de normes et de cadres », Acteurs Publics, 7 septembre 2020.