Du 22 mars au 1er avril dernier se tenait un procès hors normes : après celui de la souffrance au travail avec Orange en 2019, c’est celui de la surveillance au travail chez Ikea, le géant du meuble suédois, qui a eu lieu devant le tribunal judiciaire de Versailles en présence de seize prévenuEs, dont la société comme personne morale et plusieurs de ses ex-dirigeantEs, et de près de 120 parties civiles.
Les audiences ont permis de confirmer que, du début des années 2000 à 2012, la société a procédé à une surveillance systématique de son personnel avant qu’une plainte ne soit déposée qui a donné lieu à une instruction fleuve.
Collusions avec la police
Ainsi, en embauchant comme responsables de la sécurité, au niveau national comme local, des anciens policiers et gendarmes, elle s’assurait que ces derniers, avec l’aide de membres des forces de l’ordre encore en activité qui ont accès à des fichiers comme le STIC, se renseignent sur les salariéEs comme les clientEs considérés comme gêneurs. Elle allait, jusqu’à l’ouverture de chaque magasin, passer au crible les antécédents judiciaires des futures embauchéEs, et dresser des fichiers de son personnel contenant des éléments ayant trait à sa vie privée.
Outre des (ex-)salariéEs, dont beaucoup de syndicalistes, qui ont vu leur vie brisée par cette inquisition par des maladies, séparations voire tentatives de suicide, ce sont des dizaines de structures syndicales, dont les confédérations CFDT, CGT et Solidaires, qui se sont constituées partie civile, demandant pour certaines jusqu’à un million d’euros de condamnation dans l’intérêt de la profession qu’elles représentent. Ils et elles ont aussi demandé l’élargissement de l’instruction dans la mesure où l’institution policière en tant que telle est la grande absente des débats et où, par exemple, il est avéré qu’un commissariat proche d’un magasin a été meublé par les soins de l’enseigne...
Pour vivre heureux, vivons cachés… et surveillés !
Du côté de la défense et hormis le responsable national de la sécurité de l’époque, la cheville ouvrière du système, qui reconnaît les faits, on s’efforce de minimiser les faits ou de jouer sur les subtilités du Code pénal pour diminuer au maximum la prévention. Pire, on se plaint de la médiatisation importante de l’affaire, bien normale au regard de l’énormité des faits, pour expliquer la souffrance des victimes.
La procureure a demandé des relaxes mais aussi des peines de prison allant jusqu’à trois ans, dont un ferme, contre les instigateurs de ce système, et deux millions d’euros d’amende pour la société (à titre de comparaison, Ikea France a réalisé un chiffre d’affaires de 2,790 milliards d’euros pour l’exercice 2019-2020). Le délibéré sera rendu le 15 juin, une nouvelle occasion pour les syndicats et les victimes directes de ce procédé de se rassembler pour, il faut l’espérer, accueillir une condamnation exemplaire et utile là où les données personnelles – et les moyens de les collecter – ont explosé depuis cette date avec l’essor des réseaux sociaux.