Lundi 23 mai au matin, des grévistes de la RATP se retrouvent devant leur dépôt. Les taux de grévistes oscillent entre 50 et 60 %. Si certains bus sortent, d’autres lignes sont complètement fermées ! « Sur les 900 du dépôt, on est 646 à faire grève sur les trois jours. – Et les autres dépôts ? – Il y a du monde aussi, t’inquiètes. » La grève est largement suivie, les piquets un peu moins. Mais pas de quoi entacher l’humeur déterminée des présentEs.
Car des raisons de se battre, il y en a. La question de la sécurité au volant est très présente. « Avec la nouvelle organisation du travail, ils nous mettent en danger. Eux ils appellent toujours ça des "améliorations", mais ce qui va augmenter c’est surtout l’accidentologie. Quand tu travailles six jours de suite, avec un service en deux fois samedi, tu ne peux pas te reposer. L’augmentation du temps de conduite augmente mécaniquement le danger, pour moi et pour les voyageurs. Et les 90 euros qu’ils proposent ça ne compense pas le risque d’accident. Quand t’as un accident, c’est ta responsabilité qui est engagée, tu peux te retrouver embarqué avec les menottes aux poignets ! » Une traminote explique : « En bus et sur le tram, c’est les mêmes conditions de travail. Sauf que quand quelqu’un te grille la priorité, tu ne peux pas donner de coup de volant. Soit tu t’arrêtes à temps, soit c’est l’impact. Il faut être hyper vigilants. C’est épuisant et aucune disposition n’est prise pour se reposer. – Pour moi c’est clair, sur une course tu risques de faucher une dizaine de personnes en moyenne. Limite je rentre je suis content de n’avoir tué personne. » Au-delà du risque d’accident, des travailleurEs évoquent l’impact sur leur propre santé : « Les rythmes changent tout le temps, un coup t’es du matin, un coup du soir. Tu ne manges jamais à la même heure. On ne va pas faire ça jusqu’à 65 ans ! Le corps ne suivra pas. Déjà quand je suis rentrée il y a une quinzaine d’années, on voyait les avis de décès des collègues qui venaient de prendre leur retraite, dès les six premiers mois. »
« Il nous manque 500 euros, pas par an, mais par mois »
Qui, mieux que les conducteurs, peut savoir dans quelles conditions ils devraient travailler ? Mais pour les décideurs, c’est le profit avant tout. Les grévistes revendiquent aussi sur le terrain du salaire : « Même ce que demandent les syndicats comme augmentation c’est pas suffisant. On est tous d’accord qu’il nous manque 500 euros, pas par an, mais par mois ! »
Les conversations se poursuivent dans le métro, autre branche de la RATP. Certains grévistes aimeraient bien convaincre les collègues de rejoindre le mouvement, contre la division qui fait le jeu des patrons. Le point de rendez-vous de lundi était l’ancien ministère des Transports, où des grévistes des différents dépôts se rejoignent, à plus de 200. Des équipes de la maintenance et des métros sont aussi présentes. Dans tous les coins, on discute encore des bas salaires, de l’inflation, des conditions de travail qui sont déjà insupportables. « Ils font le contraire de ce qu’il faudrait faire. Moi je suis pour partager le travail entre tous. Mais ils suppriment des postes et mettent la pression sur les conducteurs. Ils pourraient supprimer le chômage, beaucoup de gens ont leur permis ! Mais comme les patrons veulent beaucoup de profits, il y a du chômage. » Comment peser contre les patrons ? Les grévistes discutent aussi de la suite de la mobilisation. Chacun est convaincu que sans bagarre, pas de victoire.
« Le conflit pourrait devenir régional »
Cette grève massive est l’occasion de dénoncer tous ensemble la dégradation des conditions de travail et la mise en place du Cadre social territorialisé (CST) au 1er juillet. Alors même si, lundi, les syndicats ont annoncé que la direction avait déjà reculé le décret d’application d’un mois, il faudra continuer pour lui faire complètement ravaler ses attaques. Son programme c’est la multiplication des services en deux fois, une augmentation des heures de travail, jusqu’à 10 heures de conduite possible, la suppression de la compensation d’une heure en cas de fortes chaleurs l’été, la possibilité pour les chefs de modifier les horaires 24 heures à l’avance, on en passe et des pires. En bref, un « nouveau » plan d’attaque des conditions de travail pour être plus « compétitifs » lors de l’ouverture à la concurrence, même si cette dernière n’arrivera pas avant des mois. Ce plan n’a pour l’heure pas reçu la bénédiction des directions syndicales – encore heureux !
Une délégation de syndicalistes qui a été reçue par le ministère redescend, et rapporte les échanges. Personne n’en attendait grand-chose. « Nos organisations syndicales sont opposées à l’ouverture à la concurrence. S’ils ne veulent pas nous entendre, le conflit pourrait devenir régional ! » Chiche ?
« Les salariéEs ont choisi la lutte ! »
Dans bien des coins, les collègues du transport – et pas que – ont depuis longtemps elles et eux aussi toutes les raisons de se battre pour améliorer leurs conditions de travail. Des salariéEs de Transdev et Keolis regardent sans doute vers la grève de la RATP. La meilleure réponse au patronat du transport n’est pas la défense de la RATP pour elle-même, mais serait un mouvement d’ensemble de touTEs les machinistes, et même de touTEs les travailleurEs du secteur.
Un gréviste raconte : « La direction milite pour son plan, en passant du temps dans la salle de pause à expliquer aux salariéEs qu’ils feraient mieux de mettre la pression à leur syndicat pour qu’ils signent, et ainsi tout le monde aurait un quatorzième mois. » Il faut croire que la direction ne sait pas à qui elle a affaire. Comme le disait un autre gréviste : « Les salariéEs ont choisi, ils ont choisi la lutte ! » Le rendez-vous est donné : dès le lendemain, sur les piquets, puis à la gare de Lyon pour faire transpirer la direction.