Publié le Lundi 17 août 2020 à 14h43.

« La Marseillaise vivra ! »

Menacé une fois encore dans son existence, le journal, porte parole des luttes locales, nationales et internationales, veut vivre et résiste.

Peux-tu te présenter ainsi que le journal ? Je suis Léo Purguette, Rédacteur en chef de La Marseillaise, journal fondé par des résistantEs à l'occupation nazie en 1943, et qui s’est toujours fait l’écho des luttes progressistes. Le journal reste un des rares titres qui ne soient pas adossés à de grands groupes militaro-financiers.

 

Quelle est la situation présente et quelles sont les nouvelles menaces qui pèsent sur La Marseillaise ? Après plusieurs difficultés, nous avons réussi en 2019 à assainir nos finances. Mais la crise du Coronavirus nous a touchés de plein fouet et les banques nous ont refusé un prêt garanti par l’État. Cette situation a été ressentie par l’équipe du journal comme une grande injustice après les efforts que nous avions faits. Le journal a été déclaré en cessation de paiement et le Tribunal de Commerce a prononcé la liquidation des Éditions de Fédérés – société éditrice – le 13 juillet en nous laissant trois mois de poursuite d’activité. Le TC a lancé un Appel d’Offre de reprise pour une durée d’un mois, ce qui est exceptionnellement court.

Nous avons été contactés en vue d’une reprise portée par le Groupe Maritima, Société d’Économie Mixte gérant une radio, une télé et une plate-forme numérique centrée sur la région de l’Étang de Berre (le groupe a obtenu récemment une fréquence sur Marseille, l’Hérault et le Gard, périmètre sur lequel est aussi distribuée La Marseillaise). Je précise qu’il ne s’agit pas d’une offre de rachat, mais d’un projet de reprise sous forme de la constitution d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) à laquelle participeraient les journalistes, les lecteurs (Les « Amis de La Marseillaise ») et des collectivités locales. La SCIC serait actionnaire – avec Maritima et d’autres mais dans le respect de la ligne éditoriale – d'une nouvelle société éditrice qui prendrait la forme d'une SAS. Les exigences des salariéEs sont d’ailleurs le maintien des emplois, la pérennisation du quotidien et en particulier de la ligne éditoriale.

Mais c’est peu avant la date limite que nous avons appris par la bande qu’une autre offre était en préparation, portée par Jean-Christophe Serfati – PDG de La Provence – et Niel – propriétaire de Free, du Monde etc.

Cette « offre » très hostile qui n’avait même pas été présentée aux salariéEs impliquait la suppression du quotidien transformé en hebdo, la suppression de 80% des emplois, et enfin la récupération du « Mondial La Marseillaise à pétanque » qui pouvait générer bien des profits à ce repreneur.

En réponse à cette provocation, les salariéEs ont appelé à un rassemblement jeudi 13 août en défense du journal. En moins de deux jours, ce sont plusieurs centaines de personnes qui se sont mobilisées, ce qui est loin d’être négligeable dans le contexte actuel (midi-deux en semaine, en période de vacances, dans une zone très fréquentée et donc soumise à des restrictions liées à la situation sanitaire). L’ensemble de la gauche était au rendez vous (CGT, FSU, Solidaires, ATTAC, plate-forme de McDo St Barthélémy, Femmes solidaires, PCF, NPA…) pour faire barrage aux menaces, la veille du dépôt des offres le 14 août. Notons qu’étaient présentes également des délégations du syndicat CGT Filpac et du SNJ du journal La Provence, notre quotidien ayant toujours fait la distinction entre les salariéEs et leur patron.

Le lendemain à midi, La Provence annonçait que l’offre ne serait pas déposée, seule restant en lice celle de Maritima. Une discussion va maintenant avoir lieu entre le candidat-repreneur et les salariéEs en vue de formaliser les conditions de reprise d’ici l’audience du Tribunal de Commerce du 22 septembre. Des améliorations pourront être apportées jusqu’à 48 h avant cette date, et le délibéré sera rendu début octobre. Nous pouvons maintenant être raisonnablement optimistes pour l’avenir du journal.

 

La défense de La Marseillaise est bien sûr un enjeu pour le pluralisme de la presse, pour l’emploi, mais aussi pour des raisons politiques. L’ouverture à divers courants constatée ces dernières années est un élément important. Cette ouverture n’allait pas de soi il y a 20 ou 30 ans, vis-à-vis de la LCR par exemple. Depuis, tu as toi même souvent donné la parole au NPA, en interviewant notre camarade Philippe Poutou, nos camarades du 13 et surtout en animant le débat que nous avions organisé à l’occasion du centenaire de la Révolution d’Octobre… Oui, et je garde un très bon souvenir de cette initiative.

 

Maintenant, que faire (comme disait Lénine…) pour que cet acquis élargisse encore l’audience d’un des très rares quotidiens qui donnent, en toutes circonstances, la parole à celles et ceux qui luttent ? Ce que nous jugions injuste, c’était de risquer la fin du journal alors que nous avions augmenté notre lectorat de 15% en 2019, justement grâce à cette ouverture et aux liens que nous avions tissés avec le mouvement social et citoyen sous toutes ses formes. Après le drame des effondrements d’immeubles rue d’Aubagne, par exemple, nous avons lancé la campagne « Balance ton taudis » contre le logement indigne. Beaucoup ont utilisé notre journal comme canal pour s’exprimer et on dépassé le sentiment de honte face aux marchands de sommeil. Nous nous engageons dans la solidarité pas seulement régionale mais aussi internationale, par exemple avec le peuple kurde ou tout récemment avec le Liban, en collaboration avec un journal francophone libanais : L’Orient-Le Jour. Nous nous engageons aussi dans le soutien aux migrantEs avec notre campagne « Libérez-le ! » en faveur de l’Océan Viking.

 

Pour finir, tu sais que le NPA n’était pas dans le Printemps Marseillais pour diverses raisons, même si nous ne boudons pas notre plaisir d’avoir vu dégager la clique à Gaudin. Cela dit, La Marseillaise a fait campagne pour le PM et celui-ci est maintenant à la Mairie. Que peut on attendre de l’équipe en place pour préserver le pluralisme de la presse dans la région et quels sont vos rapports avec elle ? Comme je l’ai dit, des collectivités locales peuvent s’inscrire dans le capital de la SCIC. Tout récemment, nous avons obtenu l’engagement de la nouvelle maire Michelle Rubirola de s’y inscrire à hauteur de 20 000 €, au nom justement du pluralisme. Il faut aussi préciser que Renaud Muselier – Président LR de la Région et ancien adjoint de Gaudin – n’a pas souhaité inscrire la Région dans la Scic mais a débloqué une subvention de 100 000 €. Nous n'avons jamais été complaisantEs avec lui et il sait que nous ne le serons pas plus à l'avenir. C'est pour nous la preuve que lorsqu'il est sincère, l'attachement au pluralisme n'a pas de couleur politique. Jusqu’ici, la Mairie de Gaudin ne faisait aucune insertion au titre de la Communication municipale dans notre journal, ce qui aurait pourtant été tout à fait juste dans un simple souci d’information d’une collectivité en direction du public. Espérons que les choses changeront avec la nouvelle équipe.

Cela dit, nous resterons soucieux de notre totale indépendance vis-à-vis des collectivités locales quelles qu’elles soient. Seuls compteront pour nous notre liberté d’information et être le porte-voix des luttes.

Propos recueillis par J. Marie Battini