Après les deux journées de mobilisations et de manifestations à l’initiative de la CGT, de Solidaires et de la FSU, auxquelles s’étaient jointes de nombreuses structures et militantEs de la CFDT, de FO, de l’Unsa et de la CFE-CGC, le démarrage de la grève reconductible des routiers ce lundi 25 septembre devait permettre de donner un deuxième souffle aux mobilisations contre les ordonnances destructrices du code du travail.
Dans une profession où quelques grands groupes (Geodis, XPO, Gefco...) côtoient une foule de petits patrons (97 % des 37 200 entreprises du secteur emploient moins de 50 salariéEs), l’inversion de la hiérarchie des normes est particulièrement dangereuse. En effet, dans ce secteur, beaucoup de choses se jouent au niveau de l’entreprise.
Des ordonnances brutales pour le secteur
Pour 186 heures de travail mensuel, un chauffeur gagne entre 1 800 et 2 000 euros brut. Les salariéEs doivent se battre pour faire payer toutes les heures de travail et cela se termine souvent aux prud’hommes. Les primes (13e mois, ancienneté, compensation d’heures sup non payées) prennent une part importante dans la rémunération totale. Autant d’éléments jusqu’alors fixés par la branche professionnelle et qui, lorsqu’ils seront négociables ou décidés par référendum au niveau des entreprises, donneront la possibilité aux TPE et PME, soit l’essentiel du tissu économique, de s’engager dans une course au « moins-disant social » pour remporter les appels d’offres. D’autres sources d’inquiétude sont liées à la possibilité de remise en cause du dispositif de retraite anticipée, acquis sous le gouvernement précédent, ou à la révision de la directive européenne sur le détachement. Enfin, comme pour toutEs les salariéEs, les facilités données aux patronat pour licencier sans risques s’appliqueront brutalement dans le secteur.
Un lundi prometteur
Le mouvement a commencé dès dimanche 24 au soir, avec une trentaine de grévistes qui ont bloqué, dans la nuit, le trafic des poids lourds sur une autoroute du Nord, tout près de la Belgique. Au petit matin plusieurs axes de circulation et des accès à des dépôts de carburant étaient à leur tour bloqués par les grévistes et leurs soutiens : des actions mises en places à Rouen (blocage du dépôt de carburant de Grand-Quevilly), Caen (opération escargot), Bordeaux, Île-de-France et La Rochelle (actions devant les dépôts pétroliers), Marseille, Lyon (filtrage au péage), Donges, Gennevilliers, Rennes ou encore Nantes. Au total une quarantaine d’actions qui se seraient déroulées tranquillement sans une présence importante et parfois brutale des forces de « l’ordre ». Dans de nombreux endroits les accès aux sites ou les barrages filtrants ont ainsi été « fluidifiés » par les CRS ou gendarmes. Pour « faciliter » les approvisionnements, le gouvernement avait publié, le samedi précédent, un arrêté autorisant les transporteurs d’hydrocarbures à déroger temporairement aux règles en matière de temps de conduite et de repos.
Mardi, le gouvernement désamorce et réprime
Très tôt dans la matinée, le ministère des Transports annonce qu’il va recevoir les syndicats jeudi avec une réunion préparatoire dès le mardi 26 à 11 heures pour discuter du « dumping social et de la concurrence déloyale ». Une quinzaine d’opérations de blocage ou de filtrage ont eu lieu ce mardi. Valenciennes, Saint-Omer, Nantes, Rouen, Rennes, Caen (filtrage au dépôt de carburant de Mondeville), Lens, La Rochelle. Dans les Bouches-du-Rhône, le dépôt pétrolier de La Mède, à proximité de Martigues, a été bloqué momentanément et une zone logistique à Vitrolles a également été ciblée. Partout les forces de « l’ordre » accélèrent la « libération » des accès et de la circulation. La situation est rendue d’autant plus délicate que si la mobilisation des routiers manque en elle-même de puissance, les soutiens sont également moins nombreux que lors des précédentes mobilisations. La faible implication concrète des confédérations et des unions départementales se fait sentir, de même que les divisions dans la profession (actions de la CFDT et de l’Unsa une semaine plus tôt, le lundi 18 septembre). Si les directions fédérales FO et CGT sont déterminées, peu de structures syndicales apportent un soutien réel.
Un deuxième souffle nécessaire
L’effet amplificateur de la mobilisation des routiers, les liens avec les autres transports (SNCF) et les raffineurs n’est pas au niveau espéré. Déjà en 2016, routiers et raffineurs avaient refusé de prendre en charge une mobilisation par procuration contre la loi travail version El Khomri.
Dans ces conditions, sur les barrages, dans les AG, c’est bien les conditions de la relance de la mobilisation qui se discutent. Si l’unité syndicale et la convergence des luttes ne sont ni un préalable ni une condition suffisante, elles sont bien ressenties comme une condition nécessaire. Dans cette optique, la journée « Fonction publique » du 10 octobre semble être la prochaine étape pouvant permettre de relancer la mobilisation.
Robert Pelletier