Située entre producteurs d’œufs, restauration et grande distribution, l’entreprise Matines met un terme à son activité sur plusieurs sites de conditionnement/emballage. Si 114 emplois sont supprimés sur 172, c’est bien en amont l’activité des 177 éleveurEs/producteurEs d’œufs qui s’en trouve remise en cause.
Pourtant, ni le loup ni même le renard ne peuvent être incriminés ici. Et cela fait d’ailleurs belle lurette que de poulailler, il n’y en a plus : la « concurrence libre et non faussée », la course au prix le plus bas à l’unité, conjuguées à la démesure capitaliste, en ont fait leur affaire.
« Avril » en donneur d’ordre
Matines est une filiale du mastodonte de l’agroalimentaire Avril. Ce sont bien les actionnaires d’Avril qui ont poussé depuis au moins six décennies à la folie de l’industrialisation de toute la filière. Des profits très importants ont été réalisés. Mais de la révélation de l’horreur de la production des œufs au constat documenté de leur piètre qualité, c’est toute la filière qui est entrée dans l’impasse. Du côté des actionnaires, la tergiversation n’a pas duré : c’est l’annonce de l’arrêt de Matines et la reprise partielle par Sanders, autre filiale d’Avril spécialisée dans l’alimentation animale. C’est qu’il y a encore des réserves de profitabilité et l’inventivité capitaliste est grande notamment autour des « déchets » : poussins éliminés et mort prématurée (euphémisme) des poules pondeuses. Et poursuite de la production – en diminution tendancielle – quasiment dans des conditions d’aujourd’hui, pour les consommateurEs les plus pauvres.
Les poules pondeuses en cage
Des poules en cage, ou plutôt en « cage aménagée » car la cage simple est désormais interdite dans l’UE. La cage simple, minimum 550 cm² pour chaque poule (une feuille A4, c’est 620 cm²), l’aménagée, 750 cm² avec perchoir et nid… Le sol, du grillage qui blesse les pattes, les cages, superposées, plusieurs milliers de poules par entrepôt, sans fenêtre… Elles en deviennent folles, souvent agressives entre elles. Et l’élevage au sol, à peine différent tellement la concentration est forte, une vie entière – très courte – loin de la lumière du jour… Plus de la moitié des œufs consommés en France sont encore produits ainsi, et l’équipe Macron a refusé l’abolition des cages. Productivisme oblige, la poule pond 300 œufs en une année puis est expédiée à 14/15 mois comme du matériau à l’abattoir quand une poule en poulailler en pond 60 et peut vivre 10 ans.
Rompre avec le productivisme capitaliste
Pour les producteurEs, pour les salariéEs du secteur, pour notre santé de consommateurs… et pour les poules : il faut engager une rupture maintenant pour aller vers une agroécologie respectueuse du vivant, de tout le vivant ! Il faut basculer le plus vite possible vers une production 100 % bio, c’est incontournable et même en faisant vite, ça mettra du temps : raison supplémentaire pour enclencher le processus maintenant ! Il y faudra un engagement très conséquent tellement les résistances d’Avril et de l’agrobusiness seront fortes.
Sécurité sociale de l’alimentation et continuité du salaire
Le projet de Sécurité sociale de l’alimentation1 doit être débattu : beaucoup doit être discuté entre nous, nous les salariéEs du secteur, nous les producteurEs, nous les consommateurEs… La pérennité, la solidité macroéconomique de la rupture devra s’imposer par cette réforme systémique. À travers ce projet global, nous pouvons reprendre la main sur l’investissement. Les intérêts que nous mettons en cause sont immenses et nous avons la garantie que les actionnaires ne se laisseront pas déposséder de la poule aux œufs d’or sans résistance. Le secteur agroalimentaire peut créer un million d’emplois dans un premier temps, comme le dit la Confédération paysanne. Aussi devons-nous imposer le principe que ce secteur ne subisse plus aucun licenciement, nous devons décréter la continuité du salaire et en tout premier lieu pour les salariéEs de Matines !
- 1. Lire notre dossier dans l’Anticapitaliste n° 602 (10 février 2022).