Entretien. L’arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet confirme le rejet de la « justification économique » des licenciements de 683 salariéEs de Continental. Les contrats des ex-Conti de l’usine de Clairoix (Oise) fermée en 2010 sont donc reconnus avoir été rompus « sans cause réelle ni sérieuse ». Cela signifie que les 29 millions d’euros déjà versés aux ex-salariés par Continental France au titre de dommages et intérêts restent acquis. En revanche, la responsabilité de coemployeur de la maison mère allemande Continental AG n’a pas été pleinement reconnue. C’était l’enjeu politique de cette étape de la procédure dans laquelle les ex-salariés sont engagés depuis 2013. Marie-Laure Dufresne-Castet, avocate des Conti, revient pour nous sur cette décision de la Cour de cassation.
Quels enseignements tires-tu de cette décision de la Cour de cassation ?
En premier lieu, je me réjouis d’avoir vu le 6 juillet à Compiègne ces personnes enfin libérées du poids de l’inquiétude qui les taraudait. Elles étaient enfin certaines que ces sommes qu’elles avaient reçues et parfois dépensées, leur étaient acquises. Ce n’est pas rien. Ensuite, je pense que les salariés de Continental sont allés au bout de leur combat et que, bien que blessés, ils en sont sortis malgré tout victorieux.
Ils ont utilisé les « vieilles » recettes, celles qui marchent, c’est-à-dire qu’ils ont agi dès le départ collectivement. Les décisions étaient prises en assemblée générale et le comité de lutte les mettait en œuvre. C’était une réalité concrète. Quelles qu’aient été les difficultés, ils ont réussi à maintenir une certaine cohésion face au patron. Continental restera dans les mémoires comme la possibilité de tout individu de relever la tête, quand tout est fait pour vous écraser.
Cependant, le résultat de cette formidable bagarre reste limité, puisque, juste pour permettre l’accroissement du profit de quelques-uns, une usine a été fermée et 1 120 personnes ont perdu leur emploi. Empêcher la fermeture n’aurait été possible que si la lutte n’était pas restée locale. C’est peut-être le principal enseignement que l’on ait à en retenir. Nous avons affaire à des groupes mondiaux, nous ne pouvons rester atomisés. Mais je n’invente ni ne découvre rien lorsque je répète que nous n’échapperons pas à l’impérieuse nécessité de nous organiser.
Quelle est la situation juridique et sociale des ex-Conti ?
Les ex-Conti sont salariés pour certains, petits entrepreneurs ou auto-entrepreneurs, en formation longue ou chômeurs en fin de droit pour un grand nombre encore. Ils sont dans la situation de personnes dont l’usine a fermé en 2009, qui habitent dans un bassin d’emploi sinistré et qui essaient de s’en sortir.
Sur le terrain juridique, ils ont tout gagné, ce qui a pu les aider sur un plan personnel. Et puis, je pense que l’énergie et le courage qu’ils ont mis collectivement dans la lutte les a aidés à titre individuel pour tout mettre en œuvre pour se sortir de ce mauvais pas. Il faut dire qu’au long de ces années, des militants comme Pierre Somme, Jean-Claude Lemaître ou Roland Szpirko ne les ont pas lâchés. Ils se sont battus à leurs côtés, dans leurs démêlés avec Pôle emploi, les organismes de formation ou à l’occasion de bien d’autres difficultés encore.
Sur ce point, il faut redire avec force à quel point les mesures des plans sociaux vantées par les employeurs, comme les cellules de reclassement ou autres structures d’alibi, ne servent à rien. S’il n’existait pas des solidarités militantes ou familiales, les salariés victimes de plans de licenciement seraient encore plus nombreux à ne pas s’en relever.
En quoi les lois Macron, Rebsamen, El Khomri réduisent-elles les possibilités d’actions juridiques comparables à celle menée par les Conti ?
Il faut se souvenir qu’avant ces trois lois, le gouvernement Hollande avait déjà sévi. La loi du 14 juin 2013 a raccourci tous les délais de prescription en matière sociale. Ces dispositions sont lourdes de conséquences pour les salariés, lorsqu’ils n’ont pas agi à l’encontre de leur licenciement dans l’année, s’ils en demandent la nullité, ou deux ans s’ils en contestent le motif.
La loi Macron restreint à la France le champ d’application de l’obligation préalable de reclassement de l’employeur. Elle permet aussi à la Direccte d’homologuer le document unilatéral de l’employeur en ne tenant compte que des moyens de l’entreprise, sans s’intéresser à ceux du groupe, cela en cas de redressement ou liquidation judiciaire.
La loi El Khomri, qui tend à redéfinir le motif économique du licenciement, aurait pu avoir plus d’incidences dans l’affaire Continental, mais sans que cela soit insurmontable.
Propos recueillis par Robert Pelletier