Le sens des cinq ordonnances qui composent la « loi travail XXL » est clair : achever en France le même démantèlement du droit du travail que celui qu’ont connu les pays du sud de l’Europe, à la faveur de la crise, afin de réduire le « coût du travail » et de diminuer durablement les capacités de résistance des travailleurEs.
La plupart des domaines concernés par les ordonnances ont en effet déjà subi deux, voire trois contre-réformes durant le quinquennat précédent. Macron et le patronat nous confirment qu’ils ne s’arrêteront que quand nous les arrêterons !
Principe de (dé)faveur
Derrière le prétexte – confier l’élaboration des normes aux « acteurs de terrain » – il s’agit en réalité de fixer les droits des travailleurEs là où le rapport de forces leur est le plus défavorable : boîte par boîte.
La loi El Khomri permettait déjà aux entreprises de déroger à la loi dans un sens moins favorable aux salariéEs, mais elles restaient liées par les accords conclus au niveau des branches professionnelles. Avec les ordonnances Macron, les conventions collectives ne conserveront leur prééminence que dans un nombre très limité de domaines. Les patrons pourront notamment négocier à la baisse, voire supprimer complètement, les primes de 13e mois, d’ancienneté ou encore les jours de congés supplémentaires prévus par leur branche.
Et si les syndicats ne veulent pas signer de tels accords, les ordonnances prévoient la possibilité pour les employeurs d’organiser des référendums lorsque leur projet est soutenu par un syndicat minoritaire, et même de le « proposer » directement aux salariéEs dans les boîtes de moins de vingt salariéEs.
Et si c’est unE salariéE qui conteste la diminution de la rémunération ou l’augmentation du temps de travail fixés dans son contrat, les accords conclus pour préserver l’emploi ou pour des « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » – autrement dit tous les accords – s’imposeront à lui. En cas de refus, on pourra être licencié sans contestation possible.
Licenciements économiques… pour le patronat
Les entreprises qui ont tendance à licencier en dehors des clous doivent parfois rendre des comptes et réparer un peu les dégâts causés. Macron veut leur éviter ces désagréments.
Pour ce faire ils commencent par « sécuriser » les licenciements économiques. La réalité des difficultés économiques pour un groupe international ne sera plus appréciée qu’au niveau français. Et plus besoin de s’embêter à proposer des reclassements personnalisés aux salariéEs : l’envoi d’une liste de postes identiques pour tous les futurs licenciéEs suffira.
Les patrons qui licencient bénéficieront en outre d’un joker : compléter la lettre de licenciement après son envoi, et donc ajouter des motifs nouveaux. À l’inverse, si le licenciement n’est pas suffisamment motivé, le salarié devra demander poliment au patron de préciser sa pensée avant de saisir les prud’hommes, faute de quoi il ne pourra toucher plus d’un mois de salaire en réparation.
Car les ordonnances se proposent également d’abaisser la facture des employeurs qui seraient malgré tout condamnés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Après deux tentatives infructueuses, le plafonnement des dommages et intérêts, qui consiste ni plus ni moins à permettre au patron de licencier n’importe qui sans motif pour un coût connu à l’avance, fait son come-back. Suivant les tarifs de Macron, unE salariéE licenciéE abusivement après deux ans d’ancienneté bénéficierait au maximum de trois mois de salaire de dommages et intérêts, contre six au minimum actuellement !
Enfin le délai pour contester son licenciement est réduit à un an, contre deux actuellement. La précédente réduction, opérée en 2013, a fait chuter de 40 % les demandes dans la plupart des conseils de prud’hommes.
Mieux que le CDD, le CDI de chantier !
Jugeant que le travail précaire est peu développé en France, Macron veut permettre aux patrons de se livrer à de nouvelles expérimentations. Des accords de branche pourront donc déroger à la loi concernant la durée ou le nombre de renouvellements possibles (déjà porté à deux par la loi Rebsamen) pour les contrats à durée déterminée et les contrats d’intérim.
Mais surtout, les mêmes accords pourront autoriser les entreprises à conclure des CDI « de chantier ». Jusqu’alors limités au secteur du bâtiment, ces contrats permettent à l’employeur de licencier unE salariéE sans risque lorsque la tâche pour laquelle le contrat été signé est terminée. Et contrairement à un CDD, aucune indemnité de précarité ne sera due. Un léger goût de CPE non ?
La représentation du personnel amputée
Rebsamen avait fait la moitié du chemin, Macron va jusqu’au bout. Les trois institutions représentatives du personnel (déléguéEs du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sont fusionnées de force dans un comité social et économique.
Conséquences ? Une diminution du nombre de représentantEs, et donc de salariéEs relativement protégés contre le licenciement. Mais surtout la disparition des CHSCT, dont les actions en justice ces dernières années ont bloqué ou retardé des réorganisations néfastes dans bon nombre de boîtes. Désormais seules les entreprises de plus de 300 salariéEs auront droit à une commission consacrée à la santé et la sécurité au travail.
Cerise sur le gâteau : les prérogatives de cette instance unique et les informations et documents auxquels elle a accès pourront même faire l’objet d’une négociation et être revus à la baisse au regard du droit actuel.
Simon Picou