Publié le Jeudi 14 juillet 2022 à 08h00.

« Nationalisation » ou socialisation des pertes d'EDF ?

Il y a quelques années (novembre 2005), le changement de statut d’EDF et la privatisation d’une partie du capital avaient été annoncées à grand renfort de campagnes de publicité comme l’instauration d’un « actionnariat populaire ». Aujourd’hui (le 6 juillet dernier), le gouvernement annonce son intention de prendre le contrôle total de l’entreprise, c’est-à-dire de racheter la part du capital détenue par les actionnaires : l’État français en détient aujourd’hui près de 84 %, 1 % étant détenu par les salariéEs et 15 % par des actionnaires institutionnels et individuels. Que s’est-il passé ?

EDF est en fait au bord de la faillite. La moitié du parc nucléaire est actuellement hors service, soit en raison de fissures et de corrosion dans des réacteurs, soit en raison d’opérations de maintenance programmées. La mise en service de l’EPR de Flamanville est à nouveau reportée.

Les dérives de ces dernières années

Au fil des ans, EDF a été détournée de sa mission de service public chargé de produire de l’électricité à un prix abordable pour les consommateurs, dans le respect des travailleurEs de l’entreprise et dans les meilleures conditions écologiques. Se sont conjuguées deux dérives : celle d’un mode de gestion autocratique de la haute direction de l’entreprise ; celle d’un État de plus en plus dominé par les principes du néolibéralisme – le marché de l’énergie a été libéralisé favorisant une gestion à court terme.

Par ailleurs, des dizaines de milliards ont été, depuis les années 1990, gaspillés dans des acquisitions à l’étranger. Des économies ont été aussi faites sur le dos des salariéEs (qui ont fait massivement grève ces derniers mois). Depuis 2010, EDF a été aussi obligée de vendre à prix coûtant une part de sa production à des concurrents qui ne produisent pas d’électricité, ce qui a obligé l’entreprise, ces derniers mois, à aller chercher sur le marché, au prix le plus élevé (le prix du marché a pour référence le prix du gaz) des quantités qu’elle était incapable de produire, et de les vendre à perte (cette contrainte pesant sur EDF a été accrue en janvier 2022).

Le cours de l’action EDF a bondi

Alors que Macron et sa bande ne cessent depuis des années de chanter les louanges du privé, Élisabeth Borne a déclaré sans honte, devant l’Assemblée nationale : « Je vous confirme aujourd’hui l’intention de l’Etat de détenir 100 % du capital d’EDF. Cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique ». En fait, la course vers le nucléaire va continuer avec la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires – dits EPR 2 – entre 2035 et 2042, comme l’a annoncé Emmanuel Macron dans son discours de Belfort, le 10 février dernier. Aucune inflexion positive dans la gestion d’EDF n’est à attendre. Rien n’est dit sur le bilan désastreux de la libéralisation des marchés de l’énergie. Et bien entendu, aucune baisse de la TVA n’est annoncée.

Cette étatisation d’EDF est un cas typique de socialisation des pertes. Dans l’immédiat d’ailleurs, les actionnaires dont les titres vont être rachetés sont gagnants : le cours de l’action EDF a bondi à la Bourse de Paris après l’annonce de la Première ministre. Le rachat des actions devrait coûter, semble-t-il, 12,7 milliards d’euros à l’État.

Plus que jamais, ce qui est à l’ordre du jour c’est un grand service public de l’énergie : il faut arracher ce bien fondamental à l’avidité du privé et l’intégrer dans le cadre d’une planification sociale et écologique. Mais ce n’est pas un État au service du capital qui pourrait mettre en œuvre une telle politique.