La direction de la RATP, main dans la main avec certains syndicats, vient de faire passer un avenant sur « la qualité du dialogue social ». Cet « accord », en réalité une attaque en règle, réduit encore le nombre d’élus aux élections prévues à la fin de l’année. Le but de la direction : se débarrasser des délégués de terrain, dont beaucoup sont des travailleurs combatifs qui ont joué un rôle décisif dans la dernière grève contre les retraites. Les syndicats qui ont signé cet accord ou s’en accommodent y voient la poursuite de la « professionnalisation » de leur bureaucratie de permanents coupés de la base et la promesse de se débarrasser de la concurrence de petits syndicats locaux qui ont obtenu de bons scores aux dernières élections dans certains dépôts de bus.
Derrière ce nouveau règlement électoral, la crainte des travailleurs
Depuis l’accord de mise en place des CSE à la RATP en 2018, le nombre de délégués du personnel a été réduit de 45 %, passant d’environ 730 à 400 élus au total, répartis dans 28 CSE. Il n’en resterait plus que 13 avec ce nouvel avenant et les syndicats opposés au projet estiment que 200 élus supplémentaires seraient supprimés pour les 46 000 salariés de la RATP. Le secteur des bus, tramway et de leur maintenance ouvre le bal : il n’y aura plus que 55 élus pour représenter ses 18 000 salariés, au lieu de 96 actuellement. À quelques années de l’ouverture à la « concurrence », promue par la RATP elle-même dans le but d’attaquer les conditions de travail, la direction veut démontrer qu’elle est capable de serrer la vis aux syndicats et d’économiser de nombreuses heures de délégation.
Mais ces mesures ne sont pas seulement « économiques », elles sont politiques : c’est une manière de faire payer la grève de l’an passé, les droits de retrait et autres réactions collectives qui ont eu lieu ces derniers mois. En réduisant le nombre d’élus, la RATP réduit le poids des salariés dans les instances, et la capacité pour des militants de base à se libérer du temps pour aider leurs collègues à s’organiser, par exemple au travers de la tradition toujours existante des « heures d’information syndicale » et pas seulement être pris dans les rouages de discussions de salon avec la direction. Avec 55 élus au total pour toute la région parisienne, il n’est même pas certain qu’il y aura un élu dans chaque dépôt de bus (un dépôt compte entre 400 et 900 salariés). Les heureux élus restants auront encore moins d’attaches dans différents terminus, dépôts ou ateliers, moins de liens avec leurs collègues. Ils seront poussés à se transformer en syndicalistes professionnels, en bons toutous dociles du dialogue social à temps plein. C’est une stratégie de la RATP pour enlever des moyens aux travailleurs combatifs et transformer les bureaucrates qui ne demandent que ça en relais de sa politique patronale.
Des syndicats complices à la vue courte
À la RATP comme ailleurs, chaque appareil syndical bataille pour être reconnu comme le représentant et l’interlocuteur privilégié… de la direction. En cette année électorale, l’Unsa, majoritaire, et la CFE-CGC, ont déjà signé l’avenant. Solidaires, qui est très petit et risque de ne pas passer le seuil légal de représentativité, l’a dénoncé publiquement. La CGT ne l’a pas signé, après quelques hésitations en ses sommets – à vrai dire sa direction n’avait peut-être pas le choix, car beaucoup de ses militants de base ont rué dans les brancards, à juste titre, à l’annonce de cet accord. Mais si le cœur des bureaucrates a balancé, c’est pour au moins deux raisons.
La première est que cet accord permet aux appareils les plus gros de se maintenir et d’éviter que des syndicats plus locaux et plus petits les concurrencent. Utiliser un accord tout à l’avantage du patron pour la concurrence entre appareils syndicaux n’est pas très élégant et tout à fait étranger aux intérêts des travailleurs.
La seconde, la plus importante, est la volonté de se débarrasser de militants combatifs, d’extrême gauche mais pas seulement, qui peuvent gêner le ronronnement du dialogue social, voire aider les travailleurs eux-mêmes à prendre la main lors de luttes. Le souvenir de la journée du 13 septembre 2019, où les salariés de la RATP rassemblés au siège avaient imposé l’appel à une grève reconductible, ou encore celui de l’appel à la trêve des confiseurs qui avait été rejeté vivement par les grévistes de tous les dépôts, est encore vif dans le cœur des bureaucrates. Dans la crise sanitaire, les directions syndicales ont largement accompagné les mesures du gouvernement, jouant l’union sacrée en prenant garde à ce qu’aucune contestation globale de la politique du patronat dans la crise sanitaire n’émerge. Cet accord à la RATP s’inscrit dans cette politique syndicale générale de collaboration de classe, de même que l’accord sur le chômage partiel à la SNCF, signé en décembre par Sud-Rail, l’Unsa et la CFDT, de même que les nombreux APC signés par des syndicats CGT dans le privé.
Cette attaque contre les travailleurs n’empêchera pas les luttes. Des liens ont été tissés l’an dernier entre les dépôts, les ateliers, au-delà des secteurs et des étiquettes syndicales. Ces liens sont une force qui pourrait subsister même sans élus et sans moyens, à condition que ce soit une politique consciente des militants. Quant aux coups de colère qui sont déjà réguliers et ne vont pas manquer de se multiplier face à l’offensive patronale, eh bien il n’y aura plus d’interlocuteur « responsable » (vis-à-vis du patron) pour les canaliser. De ce point de vue-là, tant mieux !