Publié le Mercredi 13 mai 2020 à 10h10.

Produire dans l’automobile sous la menace d’un rebond de l’épidémie

Comme souvent la filière automobile, la principale industrie manufacturière fabriquant des biens de consommation, amplifie ce qui est à l’œuvre dans toute l’économie. L’effondrement de la production et des ventes d’automobiles est sans précédent. Mais autre particularité du moment, l’idée que « produire une bagnole ne vaut pas que l’on y risque sa vie » est devenu largement partagée, et l’automobile rangée parmi les produits non essentiels.

À la peur au ventre de venir travailler dans une promiscuité interdite ailleurs, s’ajoutent les contraintes du port du masque et des visières, l’apprentissage de nouveaux gestes et l’application de nouvelles normes rognant de fait sur beaucoup de ces aménagements conquis au fil des jours, des années à l’atelier. La mise hors service de la climatisation et de la ventilation sera de moins en moins supportable cet été avec les milliers de salariéEs retournés à leur poste de travail. Et les caméras thermiques promises pour évaluer le niveau de température de chacun vont inaugurer des dispositifs de « télé-contrôle » social encore jamais vus.

Produire dans des conditions dégradées

Les reprises partielles de la production, effectuées avant le 11 mai, ne fonctionnent qu’avec un nombre réduit de salariéEs ne produisant qu’un nombre de voitures ou de pièces très inférieur aux standards habituels. Produire plus dans cet environnement dégradé ne pourra être réalisé qu’en travaillant plus longtemps pour chacune ou chacun. Voilà le motif de l’appel du président de Renault ; couvert par les ordonnances « état d’urgence sanitaire », devoir travailler soixante heures par semaine.

L’octroi de primes aux plus riches pour acheter des voitures électriques ne renversera pas la tendance à une baisse historique des ventes pour toute l’année 2020, même si un rattrapage des ventes différées les deux mois précédents peut relancer temporairement les ventes. Ce bref rebond interviendra au moment où les niveaux de production seront particulièrement contraints lors de cette reprise. La contradiction sera vive entre les exigences des niveaux de production et les résistances ouvrières à défendre des rythmes de travail compatibles avec leur santé.

Une crise comme celle d’aujourd’hui condense les moments. Le possible bref regain sera rapidement suivi des conséquences de la crise économique qui pointe. Celles et ceux possiblement soumis dans les semaines qui viennent à des horaires à rallonge pourront se retrouver un peu plus tard sur des listes de suppressions de postes ou d’emplois. 

De nouvelles restructurations accélérées

L’occasion fait le larron. Chez PSA, la généralisation du télétravail pour les 80 000 salariéEs comme nouvelle norme du secteur tertiaire partout dans le monde n’est bien sûr pas justifiée par la nécessité de protéger la santé des salariéEs. C’est un profond changement qui s’ouvre à l’initiative de PSA, probablement rapidement suivi par ses concurrents compères en matière d’organisation du travail. Si économies, extension et contrôle renouvelé du temps de travail sont aux postes de commande patronaux, la conquête de nouveaux droits individuels et collectifs des salariéEs est un enjeu décisif pour « ce monde qui vient ».

Partout l’industrie automobile doit lancer des investissements massifs dans l’électronique embarquée et de nouveaux modes de motorisation s’affranchissant du diesel et de l’essence. Une nouvelle crise de l’industrie automobile démarrée il y a un an en Chine était déjà là. 

En pleine épidémie, PSA puis Fiat ont jugé nécessaire de réaffirmer publiquement la poursuite de leur fusion. L’alliance Renault Nissan solde les comptes de Carlos Ghosn et prépare une nouvelle répartition des tâches, leader-suiveur, selon les pays et les techniques. Nissan pourrait se retirer d’Europe comme le craignent les ouvrierEs des usines de Catalogne, et Renault a déjà annoncé son retrait de la Chine pour les voitures essence et diesel. Dans quelques jours, Renault annoncera un plan global. de deux milliards d’euros d’économies frappant tant les usines que les centres d’études. Les experts des restructurations ne sont pas restés confinés !

La fin du tout-auto

Si les firmes automobiles envisagent de réorganiser géographiquement leurs chaînes de valeur réparties dans le monde, ce sera pour « ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier ». La réduction éventuelle de leur dépendance vis-à-vis d’un seul pays comme la Chine amènera à trouver ailleurs de nouveaux lieux d’approvisionnement. Au-delà de quelques possibles effets d’annonce, la relocalisation des activités de production n’est pas à l’ordre du jour des plans patronaux. 

Dans un moment comme celui-ci se dévoile le scandale de ce mode de production où les priorités ne sont fixées ni en fonction des besoins ni selon la vie de celles et ceux qui y concourent. Les nouvelles attentions accordées à la santé peuvent rendre de moins en moins supportable par le plus grand nombre la pollution automobile, comme en témoignent à Paris et dans d’autres grandes métropoles européennes les nouvelles mesures de restriction de la circulation automobile. 

La crise sanitaire va rester en surplomb de la crise économique qui vient. Après les appels réitérés à une reprise immédiate de la production au mépris de la santé et de la vie, le plus probable est, dans les mois qui viennent, l’imposition de nouvelles suppressions d’emplois. Le monde d’après ne sera plus celui du tout-automobile. Subordonner la défense de l’emploi dans la filière à la défense de l’automobile serait une impasse. Laissons ce discours aux dirigeants des firmes automobiles et à ceux des syndicats qui les accompagnent. Puisque l’automobile a été largement reconnue comme « non essentielle », sachons en tirer toutes les conséquences.