Entretien avec Thierry Defresne, délégué syndical central chez Total.
Vous préparez une mobilisation à partir du 23 novembre. Quelles sont les revendications ?
Nous appelons à la sanctuarisation de la convention collective (CC) au travers de trois éléments : salaire, retraites, CHSCT.
Pour les salaires, il s’agit de préserver les primes de quart, de panier, d’ancienneté. Avec un focus sur l’ancienneté parce que, conventionnellement, cette prime est de à 20 % pour 20 ans d’ancienneté, avec la revendication que nous défendons de déplafonnement à 25 ans. Total la remet, de fait, en cause depuis 3 ans en déduisant ce que cela représente (autour de 0,7 %) des enveloppes des augmentations générales et individuelles, au prétexte que les cadres n’y ont pas droit. Pour Total, la prime d’ancienneté a été créée pout fidéliser les salariéEs, ce qui n’est plus dans les préoccupations d’aujourd’hui. D’où la crainte que Total la baisse si c’est négocié au niveau de l’entreprise.
Sur les retraites, actuellement au bout de 35 ans d’ancienneté on peut prétendre à un départ anticipé de quatre ans avant l’âge légal (58 ans au lieu de 62). Chez Total on a même cinq ans pour 25 ans de quart effectué, gagnés par le rapport de forces. C’est une des seules CC qui anticipe le départ en retraite par prise en compte de la pénibilité, qui a été obtenu en janvier 2011 suite à la lutte de 2010 sur les retraites.
Le troisième point concerne les CHSCT, qui deviendraient des commissions sécurité rattachées au comité social et économique (CSE). Dans la profession c’est gravissime, notamment avec les sites Seveso 2, et plus globalement en matière de sécurité, de santé, de maladie professionnelle. Rien n’est prévu dans les textes existants, y compris tout ce qui a été acquis suite à la catastrophe d’AZF… Avec la menace de la multiplication d’accidents graves.
Existe-t-il des discussions avec la chambre patronale, le gouvernement ?
Nous avons envoyé une lettre ouverte à la chambre patronale, l’Union française des industries pétrolières (UFIP), qui visait aussi à attirer l’attention du gouvernement et de toute la CGT en pointant la faiblesse de la mobilisation interprofessionnelle. Un ultimatum visant à créer une dynamique. L’UFIP a répondu qu’il était urgent d’attendre que les décrets sortent pour apprécier le contexte de négociations. Nous nous appuyons sur le fait que les routiers et les dockers ont obtenu une sanctuarisation de leurs dispositifs conventionnels avant les décrets. Nous pensons que l’UFIP souhaite négocier à la marge, « faire ses courses » dans les ordonnances, voir ce qu’elle pourrait appliquer et laisser le reste à la négociation d’entreprise. Nous exigeons le maintien des trois éléments évoqués précédemment. La fédération chimie discute avec le ministère pour lui faire comprendre les enjeux. Total, qui pèse 40 % de l’activité dans la profession, peut avoir demandé à l’UFIP de ne pas participer aux discussions. Il s’agit de faire comprendre au gouvernement que la mobilisation de l’an passé pourrait se reproduire cette année.
Qu’en est-il de l’unité syndicale ?
Chez Total nous avons des contacts. Au niveau de la branche, la CFDT, d’accord pour attendre les décrets, demande des négociations, non pas pour sanctuariser la CC mais pour se mettre d’accord sur ce qui relèverait de la branche et ce qui relèverait de l’entreprise. FO n’a pas appelé aux journées nationales sur les ordonnances et est en position d’attente après l’échec d’une mobilisation à Feyzin. Nous visons l’unité syndicale pour avoir l’unité des salariés, sans toucher au cahier de revendications de la CGT, pas dans une démarche de syndicalisme rassemblé.
Un débat s’est engagé sur les risques de négociations par branche...
La mobilisation globale n’est pas là, mais nous n’abandonnons pas la lutte. La responsabilité première c’est celle de la confédération CGT. Depuis le 12 septembre, elle recherche d’abord l’unité intersyndicale FO-CFDT-CGC (avec certes des résultats partiels du côté de FO ou de la CGC) sans se soucier de l’unité interne, entre les différentes fédérations CGT. La confédération a refusé la proposition de la fédération chimie (FNIC), après le 12 septembre, de rencontres hebdomadaires entre la confédération et les fédérations pour construire ensemble. La FNIC a fait des démarches en direction des métallos, des ports et docks, du transport, mais le positionnement confédéral n’a pas permis d’engager des actions communes. Du coup les fédés se tournent vers les chambres patronales pour imposer le maintien des dispositifs conventionnels. Dans la FNIC, c’est le « pétrole » qui est à l’initiative. Les autres secteurs ont du mal à mobiliser mais, dans la foulée, des discussions dans le caoutchouc, la chimie… les ont amenés à exiger aussi la sanctuarisation de leurs CC. Ça peut se faire ailleurs, dans toutes les branches, et déboucher sur des grèves d’ampleur qui battront en brèche le discours du gouvernement : « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Faisons moins de manifs et plus de grèves dans les entreprises pour bloquer le pays. En grève reconductible, on n’a plus besoin de dates pour « se retrouver » même si ça fait du bien de se retrouver tous ensemble en manifestation. Pour viser le changement de société auquel tout le monde aspire.
Comment se prépare la journée du 23 ?
Par un travail de terrain. C’était froid sur les ordonnances mais, là, les oreilles sont plus attentives. Cela paraît plus simple de faire gagner sur la garantie des CC plutôt que sur l’ensemble des ordonnances. Pour la suite la fédération appelle à l’arrêt de la production. On attend un peu pour voir la mobilisation. Sur 24 heures, on ne voit que trois équipes sur sept. Il faut voir sur plusieurs jours, avec baisse des débits de production et arrêt des travaux, sauf ceux de sécurité. On n’arrête pas une raffinerie sur un claquement de doigts. Au bout de 2-3 jours on peut prendre des décisions. Le 23, nous avons la négociation salariale avec l’UFIP, et l’idée c’est d’arriver à la négociation avec une majorité de sites en grève pour, ensuite, donner de l’ampleur, relancer 24 heures la semaine suivante… on ne peut pas préjuger.
Mais nous n’oublions pas le reste (instances représentatives du personnel, droit du licenciement). Ainsi, pour les retraites, la mise en place d’un système par comptes notionnels mettrait fin, de fait, aux départs anticipés. Si on n’arrive pas à mobiliser maintenant, ça sera peut-être dans trois mois sur la formation professionnelle, dans six sur les retraites. Il ne faut pas trop se focaliser sur les ordonnances mais combattre l’ensemble du programme Macron. Au bout d’un moment il y aura une mobilisation, à un moment que, comme d’habitude, on ne peut pas prévoir. Le jour où l’interpro se mobilisera, les raffineurs seront là.
Propos recueillis par Robert Pelletier