Un militant de Solidaires RATP nous décrit l’état du syndicalisme à la RATP, un an après la mobilisation sur les retraites dans laquelle les salariéEs de la RATP ont joué un rôle majeur.
L'Anticapitaliste : Est-ce que tu peux expliquer la structure de la boite en différents département (Bus, Métro, Maintenance, siège…) et son organisation en matière de représentation du personnel ?
La RATP est composée de plusieurs départements qui, avec la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE), ont engendré 15 CSE. 5 à Bus, Tramways et maintenance des bus, qui regroupent autour de 15 000 salariés. C’est un gros CSE. Un CSE métro qui concerne tous les salariés du métro (MTS), un CSE MRF (maintenance des réseaux ferrés – trains, RER et métro). La maintenance des bus MRB (matériel roulant bus). Le RER qui est un CSE à part entière et qui ne concerne que la partie transport, c’est-à-dire l’effectif des trains, l’encadrement, l’administratif lié au train, conducteurs, conductrices, agents de maitrise. Métro et RER cumulent autour de 4 500 salariéEs. Un autre CSE regroupe les agents de stations, les agents des gares et les contrôleurs/ses, le CSE SEM.CML, avec près de 8 000 salariés. On a ensuite plein de départements et de CSE administratifs, ceux qui sont au siège de la RATP, la partie juridique, veille sociale, administratif, groupe RATP, RATP dév. Au total la RATP regroupe autour de 48 000 salariéEs.
Il y a trois organisations syndicales représentatives : l'UNSA avec 42,68% est devant la CGT à 42,57% et devant la CFE-CGC troisième organisation représentative à 14,75%. La représentativité est appréciée au niveau de l’entreprise pour la négociation d’entreprise mais aussi au niveau de chaque CSE. La représentativité syndicale peut aussi être différente au niveau d’un CSE et au niveau central. Il y a donc une articulation des niveaux de négociations ce qui renforce encore la professionnalisation des organisations syndicales.
Au niveau de la représentation du personnel pure, la mise en place du CSE a été dramatique car elle a supprimé les délégués du personnels (DP) qui étaient au plus près du terrain et le CHSCT. Toutes les difficultés locales concrètes ne sont donc plus tracées par écrit par les DP. Elles sont abordées au niveau du CSE mais les interventions y sont plus transversales. Le CSE MTS, par exemple, concerne toutes les lignes de métro alors qu’il y avait des DP par ligne auparavant. Pourtant chaque ligne de métro a une ligne propre avec un encadrement qui diffère des autres lignes. Toutes les difficultés locales ne sont plus traitées, si ce n’est par l’action syndicale en local, mais donc avec moins de moyens, un rapport de force moins favorable. La difficulté du CSE, c’est le cumul des fonctions supprimant les représentants de terrain avec une professionnalisation des éluEs et des équipes syndicales.
Est-ce que tu peux décrire l’environnement syndical à la RATP ? Comment l’UNSA peut être la première organisation, totalement cogestionnaire, mais avoir été à l’initiative de la grève reconductible de l’an dernier ?
En termes d’OS, on a les trois organisations représentatives citées tout à l’heure, plus les organisations non représentatives : Solidaires RATP, FO, Sud – le syndicat qui ne fait plus partie de la famille des syndicats Sud et Solidaires car il ne respectait pas les valeurs.
Il y a aussi des structures venues des principales organisations syndicales. Issu de l’UNSA, le SAT – syndicat autonome tout RATP – est issu d’une scission au moment de l’histoire du « roi »1, le harceleur sexuel de la RATP qui favorisait des promotions contre des faveurs sexuelles. Ceci étant, en termes de pratiques syndicales, le SAT tout comme l’UNSA sont des syndicats qui accompagnent la politique de la direction et qui ont une proximité avec cette dernière.
Il y a aussi un mouvement, la BASE, qui est une émanation de la CGT. Aux dernières élections professionnelles, certainEs salariéEs n’ont pas eu la place qu’ils souhaitaient aux élections, ce qui a donné la naissance de ce mouvement. Enfin il y a le syndicat RS (Rassemblement syndical) qui est issu d’une scission de Sud après que ce dernier ait intégré le SAP, le syndicat anti précarité. Les anciens du SAP ont finalement quitté Sud à nouveau pour créer le RS. Ils sont très implantés à Bus notamment à Belliard.
Il faut tordre le cou au mensonge selon lequel l’UNSA aurait initié la grève des retraites. C’est l’intersyndicale qui a construit cette journée noire du 13 septembre. L’UNSA étant majoritaire à Métro, depuis les dernières élections avec plus de 60 %, aux yeux de tous, c’est passé pour une grève initiée par l’UNSA. En effet, la CGT métro/RER prend un tournant d’accompagnement plus prononcé. Ils ont un certain positionnement mais pas de pratique syndicale de bagarre au quotidien. Ils ont perdu cette culture de lutte syndicale quotidienne en s’enfermant dans un syndicalisme cogestionnaire avec la tôle. La question de la formation syndicale doit être posée, à Métro contrairement à Bus il n’y a pas assez de pratique syndicale. Alors qu’un des enjeux du syndicalisme est la formation des militants pour qu’ils puissent informer, accompagner les collègues. Si ce travail n’est pas fait, cela repose sur un nombre très réduit de personnes qui ne peuvent pas organiser l’action syndicale au quotidien. Comment peut-on transformer la société si on ne donne pas les armes à nos militants pour qu’il puisse les donner aux collègues.
Pour revenir sur le 13 septembre, en
intersyndicale, cela faisait plus de deux ans que Solidaires RATP demandait à créer une intersyndicale contre tout ce qui se passait (modification du statut du personnel, conditions de travail, suppressions de poste, fusion de départements donc suppression de postes, la loi travail, les ordonnances Macron et la réorganisation de la représentation du personnel). On a demandé pendant des années sans succès et, sur le conflit des retraites, on a obtenu une intersyndicale. La proposition de la date du 13 septembre venait de l’UNSA RATP. Pourquoi ? Pour faire chier la CGT car il y a la fête de l’Huma qui commence le 13. La CGT n’était donc pas dans le communiqué commun mais heureusement des sections et des secteurs militants de la CGT, notamment à Bus et à la maintenance des trains, ont ramené la CGT bien après.
Le 13, les équipes militantes, indépendamment de l’étiquette syndicale, ont poussé dans les AG à la grève illimitée en décembre alors que dans le même temps l’UNSA et la CGT appelaient à un rassemblement à la Maison de la RATP pour empêcher les AG de se tenir. Pour construire la grève, il a donc fallu boycotter ce rassemblement.
Avec le succès de la grève du 13, l’UNSA ne pouvait plus quitter l’intersyndicale et s’est retrouvée contrainte d’appeler au 5 décembre car les AG appelaient à la grève illimitée en décembre. L’UNSA RATP s’est retrouvée coincée dans un positionnement syndical de lutte qui n’est pas du tout le sien. Dans beaucoup d’endroits, dès le 20 décembre l’UNSA voulait arrêter la grève mais les AG maintenaient la pression.
Il faut savoir qu’avec la mise en place du service minimum à la RATP, en 2007, progressivement la culture des piquets avec AG le jour de grève a disparu, car 48h à l’avance les organisations syndicales connaissent les taux de grévistes. Le service minimum a été un vrai désastre pour la construction des luttes, avec une contrainte forte, la déclaration de grève et la déclaration de reprise. Uniquement pour les métiers de sécurité sur les préavis ponctuels, c’est-à-dire tout ce qui rend visible la grève. Par contre, sur les préavis illimités, tout le monde doit se déclarer.
Il a donc fallu recréer une culture du piquet à Métro. Ce que nous avons relancé lors des mobilisations contre les ordonnances Macron. Pour le 13 septembre, on s’y est pris dès le mois de juillet, en enclenchant auprès de tout le monde l’appel à dons pour préparer le petit déj, la bouffe, pour préparer une grosse journée et ça a pris de ouf. Il y a eu un engouement et tous les salariés ont participé. C’est la première fois qu’on utilisait les groupes WhatsApp pro pour dire qui s’était déclaré. Quand un deuxième se déclarait, il prenait le premier message et le collait et le rebalançait à tout le monde et progressivement la liste de noms s’allongeait. Cela a entrainé un engouement en local : fabuleux !
Quel est le syndicalisme que développe Solidaires RATP ? Comment articulez-vous militantisme de terrain et participation aux instances ?
C’est compliqué car le militantisme de terrain, ce n’est que du temps personnel, car on n’est pas représentatif et qu’on n’a pas de relève syndicale. Pour les instances où on a des élus, ça nous fait des bons de décharge mais on s’en sert pour préparer les instances et accompagner les salariés. C’est donc très dur et depuis la création de Solidaires RATP en 2015, on ne vit que comme ça. À Métro, la maintenance et à Bus, on n’a qu’un élu, soit autour de 4 jours par mois.
On était totalement dans notre syndicalisme pendant la grève. On fait également beaucoup d’accompagnement de salarié aux prud'hommes ou face à la direction. Aujourd’hui, on accompagne par exemple une quarantaine de salariéEs à Métro et Bus contre des sanctions qu’ils ont reçues suite à des droits de retrait exercés au début de la pandémie pour défaut de mesure de prévention contre le Covid. On accompagne également plusieurs salariées victimes de harcèlement sexuel, qui reste un fléau à la RATP et particulièrement à SEM.CML, le département des agents de station. Dans ce département, la majorité des agents sont des femmes qui sont matériellement obligées de rester isolées dans les stations avec un très faible collectif de travail alors que les maitrises, notamment, peuvent se déplacer pour les faire chier. On voit bien ici que derrière les problèmes individuels se cachent des problèmes collectifs. L’accompagnement individuel nous permet de comprendre les problématiques collectives et de gagner une légitimité pour nous y attaquer. Les instances nous permettent de récupérer des infos, d’avoir un retour de l’ensemble des sections dans le périmètre du CSE, réfléchir à formuler des revendications syndicales sur l’ensemble des sujets mais cela ne va pas plus loin. Ça nous apporte aussi, pour les éluEs, une protection.
Quel impact penses-tu que va avoir l’ouverture à la concurrence ?
Cela va tirer touTEs les salariéEs vers le bas, dégrader les conditions de travail, augmenter le temps de travail, réduire le temps de repos… Cela va être dramatique pour les salariéEs mais aussi pour les usagerEs. L’opérateur privé qui va vouloir investir ses ronds sur une ligne de bus va vouloir un maximum de retour et ce n’est pas lui qui va investir tant que ce n’est pas rentré. Le matériel roulant et les installations vont morfler et les usagers avec. On doit s’attendre à une augmentation des tarifs. Pécresse avait promis de ne pas y toucher et elle les a augmentés trois fois.
Avoir du personnel disponible pour remplacer celui qui est absent, c’est possible aujourd’hui à la RATP. Demain, on va supprimer cette possibilité pour la rentabilité et donc il y aura des suppressions de trains, de bus, etc.
Quel est le poids de l’extrême droite dans la boite et les organisations syndicales ?
Le poids, on ne sait pas trop, mais ce que l’on voit c’est que la lutte contre l’extrême droite n’est pas assez implantée dans les organisations syndicales au sein de la RATP. On pourrait chercher ne serait-ce qu’un tract contre le racisme d’une organisation syndicale de la RATP… Pourtant, c’est une problématique primordiale de nos jours et que subissent les agents. À la RATP, c’est comme si ça n’existait pas… La raison de cette absence, c’est l’électoralisme des organisations syndicales qui ne veulent pas se confronter au poids de l’extrême droite auprès des électeurs.
La création de Solidaires RATP vient de cette situation : en raison de problèmes démocratiques ou plutôt d’absence de démocratie au sein de notre ancienne organisation syndicale, Sud. Le fait que l’on vire des militants antifascistes a été la goutte d’eau qui n’était acceptable ni par les organisations syndicales qui composent Solidaires, ni par bon nombre d’équipes de Sud RATP qui ont donc décidé de créer Solidaires RATP avec l’aval de l’ensemble des organisations syndicales Sud et Solidaires.
L’identité antifasciste fait donc partie de notre ADN. Concrètement, cela signifie que nos valeurs sont construites autour d’un syndicat inclusif et du triptyque défense des droits des femmes et des LGBT ainsi que la lutte contre le racisme.
Propos recueillis par Harry Smith
- 1. On trouve divers articles sur ce sujet dans la presse dont celui-ci https://www.lexpress.fr/…