Le vendredi 2 juin 2023, un véritable coup de massue s’est abattu sur les 67 salariéEs de l’entreprise Lana à la Robertsau à Strasbourg. Ils ont appris dans les pages des « Dernières Nouvelles d’Alsace » la fermeture définitive de leur usine mythique, établie depuis plus de 150 ans sur les berges du Muhlwasser. Par cette décision, tout un pan de l’histoire de la Robertsau et de l’industrie papetière va ainsi être irrémédiablement effacé.
Cette usine, dont les origines remontent à 1590 au cœur des Vosges, non loin d’un site gallo-romain nommé « Villa Lana », voit le maître papetier Demenge Harlachol bâtir une roue à papier. La papeterie « Villa Lana » fut ainsi créée. En 1664, un premier livre est imprimé sur du papier de la papeterie Lana par l’imprimerie du roi Louis XIV.
En 1872, la manufacture s’installe sur les berges du Muhlwasser à la Robertsau. La force hydraulique de ce bras de l’Ill, associée à la haute qualité de l’eau, favorisent les conditions de fabrication de papiers de qualité.
À partir de 1985 l’usine change plusieurs fois d’actionnaires, de Ausseda Rey à International Paper, mais leurs investissements ne sont pas à la hauteur pour régler les difficultés d’une entreprise vieillissante.
Reprise en 2013 et label d’excellence en 2015
En 2011, l’entreprise subit une première alerte car placée en redressement judiciaire. Cependant, en janvier 2013 le tribunal de grande instance met fin au plan de cession et valide la reprise de l’entreprise par l’entrepreneur Lasse Brink.
Se posant en sauveur de l’entreprise l’ultime acquéreur de Lana occasionne un nouvel espoir pour les salariéEs de l’usine. Il tente de redresser la situation de l’entreprise mais, selon lui, des difficultés financières dues à la hausse des prix des matières premières et de l’énergie empêchent les investissements nécessaires à la modernisation de l’outil industriel. Celui-ci déplore aussi l’incapacité à recruter et à former de nouveaux salariéEs de haut niveau de compétences, capables de prendre le relais pour la confection des papiers spéciaux.
Le cumul de ces difficultés (selon ses dires) le conduit donc à procéder à la liquidation judiciaire définitive de l’entreprise. Mais celui-ci omet (juste un détail !) de préciser qu’il a déjà vendu un immense terrain attenant à l’usine. Celui-ci est devenu constructible et va être recouvert d’immeubles de standing. Les travaux d’assainissement sont déjà bien entamés. Il est devenu évident que l’usine, pas assez rentable, fait tache à côté (le bruit et les odeurs !) et ne pèse pas lourd par rapport à cet « Eldorado », malgré l’immense réputation de Lana pour la confection des papiers d’art (utilisés pour les aquarelles) ou les papiers de sécurité. En 2015, Lana avait reçu, grâce au savoir-faire des salariéEs, un label d’entreprise d’État qui distingue les entreprises françaises pour leurs savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence.
CongédiéEs sans états d’âme
Tout ceci n’a évidemment pas pesé lourd dans la décision de la direction. L’entreprise étant de toute façon en sursis pour elle, il fallait faire table rase du passé.
Celle-ci fermera donc définitivement ses portes dans 15 jours… Et les 67 derniers salariéEs seront congédiés sans états d’âme.
Dans les Dernières Nouvelles d’Alsace du 2 juin, il est dit, sans rire, que le personnel espère fermer l’usine dans les « règles de l’art » (humoristique non ?) En aucun cas on évoque l’avenir des salariéEs… Si ce n’est le chomdu !
Comme souvent le malheur des uns fait le bonheur des autres, il y a fort à parier que ce futur cimetière industriel ne restera pas longtemps en l’état. Les terrains valent de l’or à la Robertsau et ils seront une proie très enviée… pour les promoteurs !