Avec la crise sanitaire due au virus SRAS-CoV2, le rapport au travail est fortement transformé pour une grande partie de la population, et cela dans des conditions qui peuvent se révéler dramatiques. Pour certain·es, il s’agit de télétravail, de travail à domicile, ou bien encore d’autorisation spéciale d’absence (ASA). Si, avant la crise sanitaire, les situations de travail étaient très différentes et très individualisées, le recours massif aux aménagements de ce type, dans la précipitation qui plus est, ne se fait pas sans heurt - loin de là.
Retour rapide sur le télétravail
Les modalités de télétravail sont de plus en plus présentes et diverses dans le monde du travail de manière générale, et cela date d’avant la crise sanitaire que nous connaissons. Ce nouveau mode de travail peut présenter des avantages objectifs pour les travailleurs/ses. Par exemple, notamment dans les grandes concentrations urbaines (comme en région parisienne), les temps de transport sont souvent longs et désagréables, et rester chez soi permet d’éviter cet aller-retour quotidien. Cependant, il y a aussi de gros inconvénients au télétravail. Premièrement, le travail devient encore plus intrusif dans notre vie privée. Le temps de travail est plus difficile à comptabiliser, la séparation entre travail/vie privée est amincie, et le droit à la déconnexion souvent malmené. Deuxièmement, l’employeur peut beaucoup plus facilement mettre en place des outils informatiques de vérification de notre travail (pour surveiller qu’on ne fait pas autre chose que travailler). Enfin, le travail collectif, son organisation collective, et en particulier la défense collective des travailleurs/ses sont mis à mal.
Évidemment, il ne s’agit pas ici de critiquer le travail à domicile abstraitement, mais surtout son application dans un monde capitaliste, donc dans un souci de profitabilité et non de bien-être des travailleurs/ses. Or, on constate que sa mise en œuvre pose souvent de gros problèmes, parce qu’elle est l’occasion pour l’employeur de chercher à minimiser les coûts d’environnement liés aux salarié∙es1. Ainsi, l’employeur ne paie généralement pas les frais de chauffage et d’électricité. C’est parfois au/à la salarié∙e de fournir son propre équipement de travail. En cas d’accident pendant le télétravail, le cadre juridique est souvent plus favorable à l’employeur. Et, bien sûr, l’employeur ne compense quasiment jamais l’équivalent du loyer pour la surface utilisée comme lieu de travail ! Sans parler des prestations comme la restauration collective et la garde des enfants, dont les employeurs sont ravis de se défausser.
À la faveur de la pandémie, le recours massif au télétravail « sauvage »
Actuellement, pas moins de la moitié de la population active est formellement en situation de télétravail.2 Il est probable que la part du télétravail reste durablement plus importante que dans le « monde d’avant ». C’est un bouleversement majeur qui exigerait, en toute logique, un encadrement à la hauteur de la situation. Cet encadrement pourrait prendre la forme de conventions collectives ou d’accords de branche portant spécifiquement sur la question du télétravail. Il s’agit d’un enjeu historique, qui peut concerner à long terme la majorité des salarié∙es du pays.
Or, comme le martèle à juste titre la CGT, partager un ordinateur avec toute la famille, travailler et s’occuper de ses enfants, travailler dans un contexte inadapté, ce n’est pas du télétravail. Les syndicats font état d’une augmentation de la souffrance au travail et des burn-out. Pour beaucoup, la pression est énorme, et les demandes des chefaillons sont disproportionnées dans un contexte très anxiogène. Inversons la logique : le télétravail est tout d’abord consenti par le/la salarié∙e, et la moindre des choses serait donc que l'adaptation de son poste à la maison soit faite aux frais de l’employeur. Dans le contexte actuel, sans volonté d’accompagnement par le gouvernement et sans encadrement négocié du télétravail, les conditions ne sont pas réunies pour faire autre chose que du télétravail « sauvage » reposant uniquement sur la bonne volonté des travailleurs/ses.
Macron et son gouvernement gèrent la crise sanitaire de façon dramatique, voire ne la gèrent pas à bien des égards. Leur priorité n’est pas de préserver la santé, les conditions de vie et de travail de la population. Pour eux l’essentiel, comme l’illustre le déconfinement prématuré et impréparé du 11 mai, c’est de nous faire travailler le plus possible tout en réduisant le « coût du travail ». Ils espèrent sauvegarder ainsi les profits des grands patrons face au déferlement d’une crise économique sans précédent, dont la crise sanitaire a été le catalyseur. C’est pourquoi la mise en place du télétravail n’a pas été encadrée correctement par le gouvernement et le patronat. Leur mot d’ordre, c’est : « démerde-toi, mais bosse ! ». C’est aux travailleurs/ses et à leurs organisations de répondre : « pas assez de protection, pas de boulot ! »
Suppression de congés, augmentation du temps de travail : quand l'État donne l'exemple !
Les mesures prises dans la fonction publique sont particulièrement révélatrices de la logique gouvernementale en termes de droit du travail, puisqu’il s’agit de la main-d’œuvre qui est directement employée par l’État. Or le gouvernement a mis en place une ordonnance pour voler rétroactivement cinq jours de congés aux agent·es en autorisation spéciale d’absence (ASA) sur le mois de mi-mars à mi-avril. Ces agent·es sont placé·es en ASA lorsqu’ils/elles sont en incapacité de réaliser leur travail depuis leur domicile, et ne peuvent pas se rendre sur leur lieu de travail, ou encore quand ils/elles doivent s’occuper d’enfants en bas âge.
Cette ordonnance est abjecte. Alors que la souffrance au travail dans la fonction publique est de plus en plus criante, que les services publics sont toujours plus attaqués par les politiques néolibérales des dernières décennies, ce gouvernement, déjà incompétent à gérer la crise sanitaire, vient en plus voler des jours de congé à des agent·es toujours plus pressurisé·es.
Évidemment, des mesures semblables ont également été prises par beaucoup d’entreprises privées. Suivant l’exemple de l’État, elles n’ont pas hésité à retirer des congés à leurs salarié·es ou à les forcer à en poser, y compris en situation de télétravail. Pourtant, de l’aveu même de nombreux responsables, le confinement « ce ne sont pas des vacances »...
Cela va de pair avec une volonté politique d’augmenter du temps de travail. N’oublions pas qu’une des premières mesures concrètes du gouvernement face à la crise a été de porter à 60h/semaine la durée maximale du temps de travail (contre 48h/semaine précédemment). Cette mesure, prise par ordonnance en contournant le parlement, a été présentée comme temporaire, mais elle s’applique jusqu’au 31 décembre… Rien ne garantit qu’elle ne sera pas ensuite renouvelée par ordonnance ou par décret.
Les outils informatiques, entre fracture numérique et surveillance
Face au télétravail forcé, nous ne sommes pas tous et toutes égales. Le rapport à la technologie est parfois difficile, et cela est souvent corrélé au statut social. Si on peut souhaiter que les travailleurs/ses prennent en main les outils informatiques pour mieux les maîtriser, force est de constater que l’utilisation de ces outils se passe souvent dans la douleur dans ce contexte du confinement. En effet, les employeurs, privés ou publics, n’accompagnent pas ou trop peu ce changement brutal.
Cerise sur le gâteau, les solutions techniques choisies par les employeurs pour le travail à distance sont souvent très intrusives et peu respectueuses de la vie privée. L’utilisation de Zoom par exemple est une catastrophe3. Autre exemple, dans la fonction publique cette fois : de nombreux marchés ont été passés avec Microsoft, alors qu’il existe de nombreuses solutions libres, respectueuses des utilisateurs/trices et de leur vie privée.
L’intérêt des travailleurs/ses avant tout !
Sans attendre un hypothétique « jour d’après », prenons conscience qu’une lutte des classes intense se déroule sous nos yeux, ici et maintenant. Les questions du télétravail et du temps de travail sont aujourd’hui au centre de ce conflit. Chacun y défend des intérêts inconciliables avec ceux de l’autre camp. Malgré la crise économique et sanitaire, l’enjeu pour les uns est de préserver leurs marges, leurs profits, les dividendes de leurs actionnaires. Pour les autres - pour notre classe - il s’agit de défendre, malgré la crise, des conditions de travail acceptables ainsi que le droit au repos et au temps libre. En même temps, il est vrai que, malgré le poids de la crise, le télétravail a aussi permis à certain∙es salarié·es de partager plus pleinement leur quotidien avec les personnes de leur choix (famille, ami·es…). Cet aspect positif permet d’entrevoir ce que serait la richesse des relations humaines dans une société dans laquelle les salarié·es travailleraient moins.
La crise historique que nous traversons nous met face à une alternative : voulons-nous, encore plus qu’avant, perdre notre vie à la gagner, ou bien au contraire imaginer une société plus juste, plus solidaire, où le travail serait décidé par celles et ceux qui le font et où la production servirait à répondre aux besoins de la population ? Ce n’est pas le moment de foncer tête baissée, de travailler toujours plus dans des conditions toujours plus mauvaises, en espérant sauver les meubles d’un capitalisme qui nous exploite. L’heure est à la défense des conquis sociaux et à la lutte pour de nouveaux droits, notamment sur les questions brûlantes du télétravail et du temps de travail.
- 1. Voir par exemple cette synthèse récente de la CGT-Ugict : http://www.ugict.cgt.fr/….
- 2. http://www.francesoir.fr…
- 3. https://protonmail.com/b…