Quand Damien* en parle, son visage rayonne : de s’être battu, d’avoir fait grève, de s’être organisé plusieurs jours durant avec ses collègues de Vestalia, alors qu’il n’avait jamais été syndiqué ni militant auparavant, et surtout d’avoir pu « créer une communauté », avec les autres salariéEs, celles et ceux qu’il croise depuis cinq ans tous les jours sans jamais se parler à part pour se dire bonjour, et avec lesquelEs il a partagé la joie de lutter ensemble.
Ce ne sont pas les injustices qui manquent à Vestalia, une filiale de Véolia, qui a obtenu la sous-traitance de la logistique sur les différents sites Renault d’Île-de-France : bas salaires, pression permanente des chefs petits et grands, fraude sur les accidents de travail, distribution des primes à la tête du client, etc.
La direction dépassée
C’est d’ailleurs à propos du versement de la prime de sécurité que la grève a éclaté la semaine dernière. En effet, chaque année, la distribution de celle-ci se fait selon des critères particulièrement opaques, avec des salariéEs qui se retrouvent parfois avec des sommes ridicules de 30 ou 10 euros, voire rien du tout, le reste se retrouvant le plus souvent directement dans les poches des chefs… À cet abus habituel, s’est greffée la question des NAO, la direction promettant royalement 1% d’augmentation générale, et un projet de modulation horaire pour les mois à venir qui fera alterner période haute avec surcharge de travail sans heures supplémentaires, et période basse de chômage technique.
Toutes ces annonces ont suscité la colère et le lundi 10 février, jour d’ouverture des NAO, ce sont près de 80 personnes qui se sont rassemblées devant les bureaux de Vestalia au Technocentre de Guyancourt pour protester ! Un beau résultat quand on sait que les effectifs sont en général dispersés sur les différents sites franciliens, et divisés en petites équipes à l’intérieur du Technocentre (TCR). De son côté, la direction de Vestalia, totalement dépassée, ne savait pas où donner de la tête. Les grands chefs qui attendaient les délégués syndicaux à Rueil où avait été délocalisées les NAO ont fini par repousser celles-ci au vendredi, histoire de gagner du temps, pendant que d’autres cherchaient à faire reprendre le travail sur la base de quelques vagues promesses et de menaces.
« Ils disaient que Vestalia n’avait pas d’argent et que si on ne reprenait pas, ils allaient perdre le contrat. Nous on leur a répondu que c’est eux qui sauteraient, puisque Renault aurait toujours besoin de nous pour faire le boulot » explique Damien. Et ce sont les chefs et sous-chefs qui ont dû descendre de leurs bureaux pour faire le boulot. « Nous on se marrait. On les a vu transpirer. On a vu leur "compétence". Ils ont même cassé une porte qui va coûter des milliers d’euros en réparation. Et on a aussi vu comment ils n’appliquaient pas eux-mêmes les conseils qu’ils nous donnent en permanence ».
Damien poursuit : « Pendant ce temps, on s’est tous retrouvé dans le local syndical en assemblée générale pour discuter de ce qu’on allait faire. On s’y est retrouvé tous les jours. Bien sûr, parfois y’avait des échauffourées entre nous, y’en avait qui voulait arrêter la grève. On respectait leur choix, mais à chaque fois qu’on votait "On continue la grève", c’était magnifique ».
« Ce qu’on a fait, on le garde »
Et pendant quelques jours la grève reconductible des Vestalia a donné une autre ambiance au TCR : rassemblement et cortège des grévistes bien visible dans la Ruche, le principal bâtiment, collecte de solidarité aux cantines qui ont permis de rassembler plusieurs centaines d’euros, rencontre avec les salariéEs de Renault et des autres boîtes de prestataires qui ont souvent témoigné de leur sympathie aux grévistes, etc.
Finalement, la direction de Vestalia sous pression a accepté d’avancer la discussion au jeudi 13 février. Le « chef quatre étoiles » comme l’ont rebaptisé les grévistes, a accepté de faire quelques concessions : 2% d’augmentation de salaire, le double de ce qui était prévu avant la grève, et le versement à tous les salariéEs de la fameuse prime de sécurité. Comme le conclut Damien, « bien sûr, on n’a pas tout gagné. Mais ce qu’on a fait, on le garde. Pendant une semaine on est resté ensemble, on a mangé ensemble. On a créé une communauté, on a appris à se connaître, à voir les caractères. On a vu la bête qui est en nous. Chez nous y’a des Portugais, des Congolais, des Algériens, des Gilets jaunes, des chrétiens, des musulmans. Mais on parlait pas de la religion, mais de la personne, de l’humain. Ceux d’en haut, ils pensent qu’on n’existe pas. Mais nous on a discuté de ce qui passe dans notre pays, chez nous en France, au Chili. Y’a un moment faut qu’on y aille, sinon on reste comme des moutons ! ».
*Le prénom a été changé.