Il y a dix ans, la « révolution du Jasmin » en Tunisie a provoqué l’effondrement de la dictature et « dégagé » le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, avant de s’étendre à l’Égypte, puis à d’autres pays encore. Aujourd’hui, en Tunisie, la colère gronde et la révolution de 2011 a comme un goût d’inachevé.
Il y a plusieurs semaines des émeutes ont eu lieu dans les quartiers et gouvernorats les plus pauvres du pays, avant de laisser place à des manifestations de jour où l’on peut retrouver des étudiantEs, des chômeurEs et des travailleurEs réclamant « la dignité, le travail et le pain » ou encore « la chute du régime ». Le Parlement, le Premier ministre Hichem Mechichi, le président de l’ARP (assemblée des représentants du peuple) Rached Ghannouchi et les forces de police sont particulièrement dénoncées comme responsables de la situation.
Colères déconfinées
Prétendument pour éviter la propagation du virus, le gouvernement avait annoncé un confinement de quatre jours à partir du 14 janvier, jour anniversaire de la révolution de 2011 et date traditionnelle de manifestation. Chaque année le mois de janvier ravive le souvenir de la révolution, et est un mois de protestations et d’émeutes populaire contre la situation économique. Un confinement de quatre jours complètement inefficace du point de vue sanitaire, qui était surtout pour le gouvernement une façon de se prémunir d’une éventuelle vague de contestation plutôt que d’une vague de contamination !
Mais dès le soir du 14 janvier, la diffusion d’une vidéo montrant un jeune berger se faisant humilier par la police sous les yeux du maire à Siliana (dans le Nord-Ouest) est devenue virale, des émeutes ont éclaté dans plusieurs quartiers populaires, villes et gouvernorats, se répandant comme une traînée de poudre : blocages de routes et manifestations nocturnes se sont rapidement transformées en émeutes, pillage de magasins alimentaires (notamment de la chaine Aziza, magasin alimentaire implanté dans les quartiers pauvres) et affrontements violents avec la police.
Les émeutierEs, majoritairement des jeunes chômeurEs, sont sortis pour dénoncer la pauvreté grandissante, et ont fait face à une répression féroce et à de nombreuses arrestations (plus de 1 600, dont 600 mineurEs, depuis le 14 janvier, selon la Ligue tunisienne des droits de l’homme). Des arrestations souvent sans mandat, à leur domicile, pour avoir participé aux émeutes ou avoir témoigné un soutien sur les réseaux sociaux. Beaucoup ont été condamnés à des peines lourdes, certains ont subi la torture dans les centres de détention. Le 25 janvier à Sbeitla (au centre de la Tunisie), Heikel Rachadi, un jeune manifestant, est mort des suites d’un tir de lacrymogènes dans la tête.
Contestation du système
La campagne médiatique et du gouvernement qualifiant les émeutiers de « voleurs » n’a pas réussi à diviser, mais bien au contraire à renforcer une colère latente : organisation de rassemblements devant les tribunaux, sur les places, ou de manifestations de rue qui ont non seulement exprimé une solidarité vis-à-vis des jeunes en demandant la libération des emprisonnéEs, mais se sont aussi transformées en contestation du système.
Le 6 février des milliers de personnes se sont encore rassemblées malgré un fort dispositif policier sur l’avenue Habib-Bourguiba de Tunis, à l’occasion de la de commémoration de l’assassinat, le 6 février 2013, de Chokri Belaid, figure de la gauche contre l’islam politique. Les TunisienEs ont toutes les raisons de sortir aujourd’hui pour dénoncer un État policier, la pauvreté, le chômage… Certains appellent à poursuivre la révolution de 2011, car le seul moyen de s’assurer enfin que les promesses du gouvernement adviennent un jour c’est bien de se saisir de ses affaires soi-même !