La mémoire et la reconnaissance des crimes du génocide ne doivent pas faire les frais des manœuvres diplomatiques et géopolitiques..
C’était une visite d’Etat digne du pouvoir sarkozyste. Jouant à l’homme pressé, Nicolas Sarkozy aura consacré au total trois heures à sa visite à Kigali, le 25 février 2010. Une visite tout de même qualifiée par certains, comme le magazine Jeune Afrique, d’occasion pour une «réconciliation historique».
Jusqu’il y a peu, la classe politique française avait traité le Rwanda post-génocide avec arrogance et mépris. Les crimes du génocide commis entre avril et juin 1994 étaient fréquemment relativisés. Et surtout, des protagonistes français s’efforçaient de faire apparaître les Tutsi comme des victimes d’actes perpétrés par «les leurs» (l’offensive militaire du Front patriotique rwandais, FPR), et non pas comme celles du génocide perpétré par des racistes hutu dont le régime était soutenu – pour des raisons «géostratégiques» – par la France. Or, l’intelligence politique – ou au moins tactique – du président Sarkozy l’a conduit à comprendre que ce n’était plus tenable de refuser toute reconnaissance d’une culpabilité de la France, voire de rejeter la faute sur les Tutsi rwandais eux-mêmes.
Le rôle joué par la France dans ces événements était connu de tou-te-s, en dehors de l’Hexagone, et notamment des puissances concurrentes de la France (Etats-Unis, Grande-Bretagne). Et alors que Kigali qui s’est rapproché des puissances anglophones et vient d’intégrer le Commonwealth, cette situation était une source de danger politique. Maintenir un état de tension avec le Rwanda, c’était courir le risque de voir une bombe à retardement menacer la politique française à long terme. Celle-ci pouvait éclater à tout moment, des nouvelles révélations bien ciblées pouvant «assombrir» la réputation de la France; voire déclencher, un jour, des enquêtes judiciaires.
Le 25 février 2010, alors même que sa visite était extraordinairement courte – vue l’importance historique qui lui fut donnée – Nicolas Sarkozy a su trouver quelques uns des mots et des gestes qui étaient attendus de lui. Il a visité le mémorial pour les victimes du génocide à Kigali, et a été pris en photo devant les tas d’ossements qui y sont exposés dans des vitrines. Sarkozy a même parlé du constat d’ «une forme aveuglement de la France lors du génocide au Rwanda», et de «graves erreurs d’appréciation» des dirigeants français de l’époque.
Celles-ci auraient alors conduit Paris à choisir le mauvais côté, au moment des assassinats en masse au Rwanda. Certes, Sarkozy s’est gardé de demander «pardon» ou à présenter des excuses, comme l’a fait l’ancien président états-unien Bill Clinton à Kigali, le 7 avril 2004 (pour l’absence de toute protection des victimes lors du génocide) ou encore le Belgique. Néanmoins, le travail de tou-te-s celles et ceux qui s’acharnaient, jusqu’alors, à nier l’existence d’un problème, et notamment à dissimuler le soutien coupable de la France au régime qui a exécuté le génocide, est devenu nettement plus difficile depuis ces mots prononcés par Sarkozy à Kigali. A l’avenir, le rapprochement rwando-français devrait connaître des nouvelles manifestations. A la date du 27 mars, les deux pays ont ainsi annoncé «la reprise de leurs relations économiques». Le président du Rwanda, Paul Kagamé, est annoncé comme participant au prochain sommet France-Afrique, fin mai et début juin 2010 à Nice.
Mais qu’est-ce qui motive ce «dégel» diplomatique entre les deux pays, alors que concrètement aucun responsable politique ou militaire français de l’époque du génocide n’a été accusé devant un tribunal ni jugé? Du côté français, on recherche la «normalisation» afin d’échapper au risque de se voir adresser des reproches sur son rôle en 1994 sur le plan international, voire (un jour) devant une juridiction transnationale. Du côté rwandais, le régime recherche, entre autres, une garantie de stabilité en s’assurant que des forces d’opposition – surtout celles qui seraient tentées de re-jouer la carte «ethnique» hutu – ne puissent se retourner vers la France en se rappelant son ancien rôle de «protecteur». Par ailleurs, le régime rwandais est aussi impliqué dans le Nord-Est de son grand voisin, la République démocratique du Congo (RDC), dans des conflits militaires et dans le pillage des ressources naturelles. Le Rwanda, après avoir, il y a quinze ans, initialement défendu une «zone de tampon» contre les milices des anciens génocidaires, joue dans certaines parties de la RDC un rôle de puissance d’occupation. A ce titre, son pouvoir aimerait bénéficier d’un appui des principales puissances occidentales.
Les intérêts propres du régime rwandais actuel ne doivent pas faire passer au second plan la question des victimes et les intérêts des survivants du génocide. En France même, des associations et ONG se battent pour que cette «réconciliation» ne conduise pas à l’oubli et à l’amnésie.Dans deux appels, publiés fin février lors de la visite de Sarkozy à Kigali puis le 7 avril pour le jour-anniversaire du déclenchement du génocide, elles demandent que la lumière soit faite sur les responsabilités françaises dans le génocide. Dans le premier appel, les signataires (Survie, le MRAP, le NPA, le PCF…, mais aussi des personnalités telles qu’Olivier Le Cour Grandmaison) constatent qu’« il est urgent que notre pays fasse la lumière sur le rôle exact que son gouvernement et son armée ont joué au Rwanda entre 1990 et 1994.» Prenant appui sur le début de reconnaissance d’un rôle négatif joué par la France, implicitement formulé par Sarkozy, le second appel réitère la demande d’une enquête sur le rôle joué par la France, avant et pendant le génocide au Rwanda. Il serait en effet temps qu’une telle étude, non entravée par la soi-disant «raison d’Etat», soit entamée.
Bertold de Ryon