Publié le Dimanche 21 novembre 2021 à 12h18.

Affaire du feu de palette devant la préfecture de Guyane: un scandale d’État mis au grand jour

Ce 15 novembre 2021 se tenait à Cayenne, le procès en appel de quatre militants du mouvement social guyanais concernant un feu de palettes qui avait provoqué un départ d’incendie devant la Préfecture lors du mouvement de protestation de juillet 2020. Ce procès en appel a été l’occasion de mettre en lumière un complot d’Etat visant à faire condamner lourdement les militants pour mettre au pas le mouvement social guyanais.

Le 21 juillet 2020, une grève générale pour améliorer le schéma sanitaire guyanais

A l'appel de l'Union des Travailleurs Guyanais soutenue par le Mayouri Santé Guyane (collectif de 25 syndicats, associations et partis politiques guyanais), plusieurs centaines de personnes répondent à la grève générale et se rassemblent le 21 juillet 2020 devant la Préfecture. Nous sommes alors en pleine première vague du Covid et les infrastructures hospitalières sont totalement débordées, montrant une fois de plus les incapacités de l'Etat français à protéger la population guyanaise. La colère est importante et face au refus des autorités à recevoir une délégation de grévistes, des palettes sont embrasées sous le balcon du bâtiment préfectoral. Porté par le vent, un début d'incendie attaque la façade du bâtiment colonial classé, avant d'être rapidement maîtrisé par les pompiers. Ce départ de feu va obliger l'évacuation du bâtiment et interrompre l'audition en visioconférence du Préfet et de la Directrice de l'ARS par la commission d'enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire. A l'issue de cette mobilisation une commission interministérielle est mise en place, elle aboutira quelques semaines plus tard à l'engagement ferme et contraint de l'Etat de créer un CHU en Guyane pour 2025.

9 mois plus tard une judiciarisation hors norme

Avril 2021, 9 mois après cette mobilisation victorieuse, une vaste opération de police conduit à l’interpellation simultanée de quatre militants à leur domicile (avec porte défoncée sans sommation) et sur leur lieux de travail. Il s'agit de trois membres des 500 frères contre la délinquance dont son Président (association fer de lance du soulèvement de 2017) et d'un membre du Bureau Central de l'UTG (principal syndicat guyanais de tendance indépendantiste). A l'issue de leur garde à vue, ils sont mis en examen pour « dégradation volontaire de bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes ».

Le 14 octobre 2021 se tient le procès en première instance des quatre militants. On assiste a un véritable procès à charge. La Préfecture présente un devis global des travaux de 135 000€ laissant entendre qu'un véritable incendie s'est déclaré au sein du bâtiment préfectoral. Bien qu'aucun des quatre prévenus n'a été identifié comme l'auteur du feu de palette, ni même qu'aucune preuve n'a établi une quelconque volonté de mettre le feu à la Préfecture, le jugement sera des plus sévères. Les trois membres des 500 frères écopent d'une peine de 18 mois de prison ferme avec incarcération immédiate. Le dirigeant de l'UTG, pour qui seul le transport de palettes afin de structurer des barricades a été établi, est quant à lui condamné à 12 mois de prison ferme avec incarcération immédiate.

Une falsification du montant des travaux par la Préfecture en vue d'obtenir des peines maximales

Les quatre prévenus font immédiatement appel de leur condamnation avec demande de mise en liberté. Le 15 novembre 2021, s'ouvre alors le second volet judiciaire de cette affaire. Durant l'audience, le collectif de six avocats (trois avocats guyanais, deux guadeloupéens ainsi que le médiatique Juan Branco) met à mal la version de la Préfecture. Devant la demande de justificatif détaillé, le Préfet ne va fournir qu'une note de service chiffrant les réparations à la baisse passant de 135 000€ à 50 000€. C'est près de trois fois moins qu'en première instance et nous sommes pourtant encore loin de la réalité. En effet, si l'on croit plusieurs témoignages internes à la Préfecture les réparations de la façade seraient d'un montant de 3 000€. Ce montant semble totalement compatible avec les réparations constatés qui semblent se borner au changement de quelques lames du plafond extérieur et une couche de peinture sur les murs.

Cet aveu de la Préfecture d'avoir falsifié le montant des travaux est d'une importance capitale car c'est au regard de cette somme que le juge a estimé l'importance de l'incendie et que les militants ont vu leur peine de prison prononcée. Cette falsification a été faite sciemment dans le but de faire condamner lourdement les militants incriminés. Il s'agit bel et bien d'un complot d'Etat pour mater la rébellion des guyanais qui ont osé mettre en lumière l'aberration de la gestion coloniale de l'Etat français.

Les complots d'Etat en Guyane, un usage colonial bien rodé !

Cette manipulation étatique de la justice n'est malheureusement pas la première que nous connaissons en Guyane.

En 1974, une vingtaine de militants indépendantistes guyanais sont arrêtés et déportés en France à la prison de la Santé au motif fallacieux de préparation d'un attentat pour Noël. Deux mois plus tard, devant la forte mobilisation populaire, les militants victimes de ce que l'on nomme le « complot de Noël », sont rapatriés en Guyane sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux.

En 1997, six mois après les importantes émeutes de novembre 96 qui ont permis d'arracher un Rectorat pour la Guyane, une dizaine de militants sont arrêtés puis déportés, pour certains dans des cales de bateaux, vers les Antilles. Ils sont accusés d'avoir provoqué un début d'incendie dans la maison du Procureur pendant les émeutes. Après plusieurs mois de détention préventive (jusqu'à six mois pour certains), face à une importante mobilisation populaire et devant le constat de l'absence totale de preuve tangible, toutes les charges sont abandonnées contre les militants qui rentrent alors en Guyane.

Mobilisation en vue pour le délibéré du 25 novembre

A la surprise générale, à l'issue des débats, la Présidente de la Cour d'Appel a décidé de reporter le délibéré de l'affaire, ainsi que le jugement des demandes de libération au 25 novembre prochain. Avec la révélation de la manipulation du montant des travaux factures par la Préfecture, le maintien en détention des quatre militants relèverait d'une incroyable provocation. Ce 15 novembre, durant les 7 heures de procès, des centaines de militants se sont relayés devant les portes du tribunal au son des tambours. Le 25 novembre prochain la pression populaire ne devra pas faiblir pour définitivement mettre en échec ce nouveau complot d'Etat en Guyane.