Arrêtée le 3 février en Tunisie, d’où elle risquait d’être expulsée vers l’Algérie après être entrée illégalement, Amira Bouraoui a finalement embarqué le 6 février sur un vol à destination de la France. L’affaire Amira Bouraoui, avec l’implication de trois présidents, le rappel de l’ambassadeur algérien en Tunisie, a occulté en Algérie la tragédie du séisme en Turquie et en Syrie ou le procès du journaliste Kadi Ihsane.
Amira Bouraoui, opposante au régime, ayant ses propres convictions démocratiques et laïques, est une Algérienne qui vit en Algérie depuis sa naissance et a été une activiste acharnée contre le cinquième mandat de Bouteflika. L’histoire lui a donné raison. Elle a été très impliquée dans le hirak comme des millions d’AlgérienEs et en a payé le prix à la prison de Koléa. Active sur les réseaux sociaux, elle dit ce qu’elle pense avec un côté polémiste et parfois provocateur et c’est son droit. Cela s’appelle la liberté d’expression. Elle subit comme des centaines d’activistes du hirak ou des artistes comme le chanteur Lahlou une ISTN (interdiction de sortir du territoire) injuste et avec des procédures juridiques qui ne sont pas respectées. L’arbitraire le plus total.
Un départ largement justifié
Cette médecin, formée en Algérie et bien présente dans le système de santé, est en outre sans travail pour des raisons bien sûr politiques, et se retrouve donc au milieu de toutes ces turbulences sans boulot et sans revenu. Sous pression des autorités, sans travail et sous ISTN, elle a fait le choix de partir en entrant de façon irrégulière en Tunisie et en usant de son passeport français pour partir de la Tunisie. En gros, une « Harraga »1 avec un passeport français, car elle a la chance d’être binationale — ce qui ne fait pas d’elle une agente de la France nuisible. Et l’on se souviendra que ministres et hautes personnalités de l’État algérien sont, comme des centaines de milliers d’AlgérienEs, binationaux. Malmenée par la police tunisienne avec trois jours de garde à vue, elle a pu prendre l’avion en tant que ressortissante française. C’est tout et rien de plus. Elle assume car sa vie est devenue intenable pour elle et la justice la poursuit pour ses idées politiques. C’est un problème de libertés en Algérie qui a déjà fait partir plusieurs activistes d’ONG des droits humains. Sa seule infraction, c’est d’être sorti de Oum Tboul à la frontière algéro-tunisienne de façon irrégulière. Quand on considère que l’Algérie devient une prison pour les militantEs d’opposition, son départ est largement justifié et nous ne pouvons que la soutenir.
Un régime affaibli
La régime algérien est un régime politique totalement délégitimé, qui agit par la répression, qui est sans projet économique, qui condamne des petits spéculateurs à de lourdes peines de prison — créant une certaine psychose dans les milieux investisseurs. Un régime qui touche au droit de grève et veut neutraliser le pluralisme syndical, un régime qui n’a que le gaz pour se faire accepter et les vieux démons national-populistes pour se faire respecter. Les « dictatures démocratoïdes » à la latino-américaine semblent être le bon créneau pour durer et mater une société qui n’a pas encore enterré son hirak. Plus le pouvoir est omnipotent, plus sa fragilité est mise à nu et plus il est agressif et autoritaire. Le front social, avec la dernière grève nationale des postiers, comme la résistance, même passive, des activistes du hirak, peuvent être les signes d’un cours nouveau qui n’attend qu’un détonateur pour libérer les consciences et réanimer une société installée dans la peur.
PS : On a appris, le 13 février au matin, l’arrestation en Algérie de la mère et de la sœur d’Amira Bouraoui. L’affaire est donc loin d’être terminée.
- 1. Terme relatif aux départs des AlgérienEs qui fuient clandestinement le pays faute de perspectives d’avenir.