Le lundi 10 décembre au matin, plus aucun train « Grandes lignes » ne circulait en Allemagne. Presque plus de trains régionaux non plus. Le syndicat du transport ferroviaire EVG avait appelé à une grève « d’avertissement », annoncée seulement la veille.
Entre 5 h et 9 h du matin (heure où les gens vont au boulot !), tout s’est arrêté : les trains sont souvent en retard dans le pays mais la grève, elle, a été ponctuelle ! Et à la fin, il a fallu encore un bout de temps avant que le trafic ne reprenne. C’est entre autres la participation massive des aiguilleurEs qui explique l’impact du mouvement.
Sympathie pour les gilets jaunes
Pas moyen, en revanche, d’organiser quoi que ce soit en tant que grévistes pendant ces quelques heures. Les assemblée générales sont une espèce extrêmement rare – voire inconnue – en Allemagne. Les cheminotEs qui ont répondu à l’appel de l’EVG ont enfilé pour ces quelques heures de grève leurs gilets syndicaux bleus (et pas jaunes !) et ont arpenté les lieux où ils se trouvaient. Les trains étaient à quai, des petits groupes de conducteurs et conductrices – elles et eux aussi en rade – se sont formés, avec des agents de sécurité, eux en gilets jaunes évidemment. Dans le pays entier, comme sur certains quais de gare à Berlin, les plaisanteries n’ont pas manqué sur la couleur des gilets, avec de la sympathie pour le jaune !
Plus couleur locale : cette grève intervenait dans le contexte de négociations salariales (convention collective) entre la Deutsche Bahn (DB) et les deux syndicats de la branche : EVG (syndicat du transport ferroviaire) d’une part, GDL (syndicat des conducteurs allemands) d’autre part. Mise en avant, entre autres, la revendication d’une augmentation de 7,5 % des salaires.
Démonstration de force
L’étonnement face à ce mouvement a été d’autant plus grand qu’il n’est pas du tout dans les habitudes de l’EVG de faire grève, même pas pour quelques heures comme cette fois-ci. Ces dernières années, les grèves qui ont eu lieu à la Deutsche Bahn (en 2007 et 2014 notamment) ont été appelées par le GDL, un syndicat beaucoup plus petit, corporatiste mais plus réactif. Pour tout dire, l’EVG s’était même taillé la réputation d’un syndicat proche de la direction du trust.
Les conducteurEs sont presque exclusivement syndiqués au GDL et le personnel non roulant à l’EVG. C’est peut-être la raison pour laquelle l’EVG a voulu faire une démonstration de force : prouver qu’elle pouvait arrêter le trafic ferroviaire de manière encore plus efficace que le GDL. Ce dernier a d’ailleurs donné à ses membres consigne de ne pas participer à la grève.
Accord retors
Quelques jours plus tard, l’EVG et la direction de la DB ont signé un accord, suffisamment retors pour cacher bien des couleuvres. L’augmentation salariale vient en trois étapes et s’étale jusqu’en février 2021 ! Il y a tout de suite une prime forfaitaire de 1 000 euros, ensuite une augmentation de 3,5 % à partir de juillet 2019 et, encore un an plus tard, à partir de juillet 2020, une augmentation de 2,6 %. Les cheminotEs ont « le droit » de reconvertir la deuxième tranche d’augmentation en 6 jours de repos annuels supplémentaires, ce qui est assez populaire vu la surcharge de travail permanente.
Cette grève de quelques heures était bien cadrée, décidée, ficelée et contrôlée par l’appareil syndical. Mais au-delà des calculs et rivalités d’appareils, son succès – ne serait-ce que pour quelques heures – était là aussi pour rappeler la force collective des travailleurEs. À laquelle il est toujours bon de goûter. Surtout que le mécontentement à la Deutsche Bahn, comme partout, est vif.
Sabine Müller