Publié le Jeudi 20 février 2014 à 07h00.

Bosnie-Herzégovine : vive les forums citoyens  !

Un mouvement social et politique majeur est né le 5 février à Tuzla, principale ville industrielle de Bosnie-Herzégovine. Il s’étend depuis et s’organise en « Forums citoyens » dans plusieurs villes, élaborant leurs revendications. Leur impact dépasse les frontières nationales internes et externes.

Cette ancienne république yougoslave de moins de 4 millions d’habitants compte 44 % de chômeurs. Et quand on y a un emploi, le salaire moyen brut équivaut à quelque 400 euros, alors qu’un politicien peut gagner en un mois autant qu’un retraité en quatre ans. Dans la région de Tuzla (130 000 habitants), les travailleurs ont cessé d’être payés lors de privatisations aujourd’hui dénoncées comme « criminelles », détruisant à la fois emplois et droits sociaux. C’est tout cela qui est mis à plat aujourd’hui : la misère sociale, l’incurie du système et la corruption associée aux privatisations clientélistes sous toutes étiquettes. 

Des Forums citoyens s’organisent et s’étendent de Tuzla à Sarajevo et dans un nombre croissant de villes. Imposant un temps de parole limité et égalitaire à chacunE, ils forment des groupes de travail élaborant des cahiers de revendications adressés aux cantons, plus facilement contrôlables. L’accès aux  soins gratuits de santé s’y combine à l’exigence d’un travail et revenu normal, de droits à la retraite face à la fermeture des entreprises. D'ores et déjà, ils ont obtenu la démission de 43 ministres et trois Premiers ministres de plusieurs cantons, dont Sarajevo et Tuzla. Dans ces deux villes, ils ont aussi contesté la loi qui permet à des politiciens de conserver leurs salaires pendant un an après la fin de leur mandat, ce qui coûterait quelque 750 000 euros au budget de l’État, alors que, sous pression du FMI, les dépenses sociales et les salaires des fonctionnaires sont encore réduits.

Effet domino contre les divisions

Le mouvement s’est dressé contre la criminalisation des protestations violentes des premiers jours : « Nous exprimons nos regrets pour les blessures et les dommages causés, mais nous exprimons aussi nos regrets envers les usines, les espaces publics, les institutions scientifiques et culturelles, les vies humaines détruites par les actions de ceux qui sont au pouvoir depuis vingt ans. »
Il résiste aussi aux tentatives de division venant des États voisins comme des partis nationalistes internes à la Bosnie, côté croate ou serbe : tous sentent leur pouvoir menacé par de tels mouvements sociaux et politiques.

Venu de Zagreb en visite à Mostar, le Premier ministre Zoran Milanović a cherché à retourner la  communauté croate locale contre des contestations dites « musulmanes » (bosniaques) 1.  Mais dans cette ville dont les quartiers musulmans ont été détruits par les milices fascistes croates il y a vingt ans, Croates et Bosniaques musulmans ont ces jours-ci manifesté ensemble contre « la mauvaise politique et la corruption du système ».

De son côté, le président de l’« entité » à dominante serbe du pays (la Republika Srpska), Milorad Dodik, a déclaré – non sans démonstrations policières massives – que « le chaos » venait de l’autre entité, la Fédération croato-musulmane. ­Pourtant, la révolte gagne les villes à majorité serbe de Banja Luka et Bijeljina. Et les associations d’anciens combattants ont dénoncé dans un communiqué « la criminalité, la corruption et le népotisme » qui règnent dans l’entité serbe.

En ce moment même, les salariéEs de plusieurs entreprises qui n’ont pas été payés depuis des mois, sont en grève en Serbie, comme à Tuzla. Et de Belgrade à Zagreb en passant par Ljubjana, des solidarités actives s’expriment, comme au plan international. Il n’y a pas de solution cohérente et stable en Bosnie-Herzégovine, contre les nationalistes exclusifs et les pouvoirs néo-coloniaux euro-atlantistes, sans réinventer une égalité dans la diversité  balkanique, tirant les leçons du passé. 

C’est ce qui est en marche.

Catherine Samary

1 – On distingue la citoyenneté « bosnienne » et trois peuples constituants : serbe (dominante orthodoxe), croate (dominante catholique) et « bosniaque » (dominante musulmane). Sur la décomposition yougoslave et Dayton, voir :http://csamary.free.fr