Sans surprise, Jair Bolsonaro a été élu dimanche avec une confortable avance de 55,2 % des voix. 58 millions de BrésilienEs l’ont soutenu, soit presque 10 millions de plus qu’au premier tour... Le crypto-facho, nostalgique de la dictature, adepte des déclarations les plus réactionnaires et des méthodes les plus autoritaires, aura-t-il pour autant les coudées franches pour gouverner ?
Dans cette campagne, le politicien haineux et opportuniste (il a adhéré au PSL en janvier dernier... après avoir appartenu auparavant à neuf autres partis !) a pu profiter d’un alignement néfaste des planètes : affaires et accusation de corruption, rejet du PT, effondrement de la droite institutionnelle, pression militaire, manœuvres judiciaires… Ses différents soutiens peuvent aujourd’hui se frotter les mains.
À qui profite le crime ?
Grands patrons, membres de la police et de l’armée, miliciens, évangélistes et croyants fanatisés… ils sont nombreux à avoir aidé à l’élection de Bolsonaro. Issus souvent de secteurs revanchards, tous y voient des intérêts convergents, à commencer par ceux des grands patrons brésiliens. Aussi il n’était pas étonnant de voir la bourse de Sao Paulo bondir de 3 % à l’ouverture de la séance lundi matin...
« Une sorte de paradis patronal », dixit un économiste brésilien. Si Bolsonaro assume ne rien connaître en économie, les « marchés » et la bourse ont eux une totale confiance en son conseiller économique, l’ultra--libéral Paulo Guedes. Ainsi, les annonces de Bolsonaro dans sa campagne – réforme des retraites par capitalisation, privatisation d’au moins la moitié des entreprises publiques... – ont été saluées comme il se doit. La perspective de libéraliser l’accès aux armes à feu pour la population a quant à elle fait monter les actions du vendeur d’armes -Taurus… Et dans le domaine agricole, les ruralistas, la branche la plus conservatrice de l’agrobusiness brésilien, soutiennent à fond Bolsonaro, notamment ses multiples attaques contre les droits des peuples indigènes et ses velléités de remettre en cause l’accord climat signé à Paris.
Du point de vue la méthode, autoritaire et violente, tout ce que le -Brésil compte de forces réactionnaires constituées ont appuyé Bolsonaro : 72 militaires viennent d’être élus à des postes de députés fédéraux et d’États, et plusieurs généraux de réserve vont intégrer le gouvernement. Et le véritable permis de tuer qu’il veut accorder à la police brésilienne trouve un écho important parmi celle-ci, la plus violente du monde (plus de 5 000 personnes tuées par an).
Niveau politique extérieure, les USA de Trump peuvent sans nul doute aussi crier victoire. Par bien des aspects, de la critique de la Chine aux remises en cause des questions écologistes en passant par son anti-madurisme primaire, le programme de Bolsonaro semble, en effet, souvent un copier-coller de celui du président US… Et Trump de tweeter lundi son souhait de « rapprochement dans les domaines commercial et militaire »...
Contradictions et résistances
Pour autant, pour le président d’extrême droite et ses soutiens, rien n’est réglé. D’abord parce que, même dimanche dans les urnes, le pays n’a pas été domestiqué ou abattu. Fernando Haddad, le candidat perdant du Parti des travailleurs, a rassemblé 47 millions de voix au second tour, soit 16 millions de plus qu’au premier tour. Et cela dans le contexte d’un entre-deux-tours explosif, sur fond de campagne d’intox et de violences. De plus, le résultat électoral montre un pays fortement divisé : Bolsonaro a perdu dans le Nordeste, une région importante, et ailleurs le nombre élevé de votes en sa faveur – par exemple dans des États tels que Rio de Janeiro et São Paulo – semble plus souvent lié à un rejet du PT qu’à une adhésion à ses positions et propositions politiques. Si on ajoute les 42 millions de votes blancs, nuls ou abstentionnistes (31 % des électeurEs, 12 millions de plus qu’au premier tour) et le fait que, pour la première fois, un président est élu sans la majorité des voix des revenus les plus faibles du pays, on peut dire que la victoire de Bolsonaro est loin d’être un raz-de-marée, même si elle n’en est pas moins dangereuse.
Par ailleurs, les contradictions sont explosives. La base sociale de Bolsonaro, en particulier dans sa composante la plus populaire, est par exemple sensible à la lutte contre la corruption et à son discours ultra-sécuritaire décomplexé, mais ne semble pas prête à le suivre sur la mise en œuvre de ses principales contre-réformes. Ainsi, selon différentes études, à peine plus d’un tiers de ses électeurEs pensent qu’il devrait vendre tout ou partie des principales entreprises d’État, une mesure pourtant annoncée pour prétendument réduire la dette du pays. Les trois quarts de la population sont en outre opposés à la réforme des retraites, présentée comme une priorité dans la campagne. Tout cela crée autant de brèches dans lesquelles la contestation sociale pourrait bien s’engouffrer, contre les reculs sociaux annoncés, en défense des libertés démocratiques menacées ou des minorités et courants politiques stigmatisés.
Aussi, alors que Macron vient de féliciter le nouveau président, affirmant sa volonté de poursuivre sa coopération avec ce pays « dans le respect » des « principes démocratiques », nous voulons pour notre part assurer le peuple brésilien, le monde du travail, toutes celles et ceux d’en bas, de toute notre solidarité internationaliste, en particulier pour ses résistances et luttes à venir.
Manu Bichindaritz