Le vote majoritairement anglais pour la sortie de l’Union européenne absorbe une très grande partie de l’activité politique depuis juin 2016...
L’approche du déclenchement de l’article 50, suite au vote du Parlement britannique, n’a fait qu’accentuer cette tendance. La multiplicité et la technicité des enjeux et implications imposent une relative prudence quant aux pronostics. Il est certain, par exemple, que l’activité législative des divers parlements nationaux au sein du Royaume-Uni (R-U) est condamnée à deux années de submersion au moins par les effets du Brexit : quelles retranscriptions des dispositions européennes dans les législations galloises, écossaises, nord-irlandaise et anglaise ? Qui reprend la main sur quoi dans le cadre de la dévolution aux parlements nationaux ? Mais outre les questions législatives et constitutionnelles, il paraît difficile de prédire l’évolution des situations politiques nationales déjà tendues en Écosse et en Irlande du Nord (qui se sont respectivement prononcées à 62 % et 55,8 % en faveur du maintien dans l’UE). À un autre niveau, la confusion continue de régner sur le sort des ressortissantEs de l’UE vivant et travaillant au Royaume-Uni.
L’incertitude n’est cependant pas si grande sur tous les sujets. La sortie de l’UE intervient au cours d’une phase prolongée de remises en cause systématiques et profondes des droits les plus élémentaires du monde du travail, qu’il s’agisse de ses revenus, de ses conditions, ou de ses protections sociales, juridiques et de santé : explosion de la précarité et de la pauvreté au travail (un travailleur sur huit), restrictions de l’accès (maintenant payant) à la justice prud’homale, déréglementation avancées de règles de santé et de sécurité au travail, raffinements des dispositifs punitifs contre les chômeurs et les personnes en situation d’incapacité pour raison de santé...
Des inégalités qui vont s’approfondir
Dans ce contexte, le Brexit représente un levier supplémentaire pour s’affranchir des quelques dispositions que l’UE avait encore à offrir en matière de protection du travail. Au regard du pouvoir britannique, une protection du travail est toujours une protection de trop, qu’il s’agisse, par exemple, de la directive sur le temps de travail (48 heures hebdomadaires), de la directive relative au travail intérimaire, ou d’une cour de justice européenne aux rendus souvent plus favorables aux salariéEs que les cours britanniques. Ces derniers mois, nombre de conservateurs au pouvoir n’ont d’ailleurs fait aucun mystère de leur intentions sur ce terrain.
Une question reste peu visible, bien que cruciale pour une grande partie de la population du Royaume-Uni. Tous les anciens bassins industriels sinistrés depuis les années 1980 dépendent directement de fonds structurels européens (FEDER, FSE) pour leur survie collective déjà difficile. Sur la base d’une carte des « régions assistées » déterminée avec l’UE, l’État britannique cofinançait des politiques d’investissement d’une importance vitale, en dépit de leur insuffisance manifeste. Ainsi, l’enjeu est majeur pour le Pays de Galles en général (en majorité pour la sortie en juin 2016) : près de 2,5 milliards d’euros sur la période 2014-2020. Et toutes les régions du Royaume-Uni sont concernées par des programmes souvent chiffrés en centaines de million d’euros (Écosse, Irlande du Nord, région nord-ouest, Cornouailles, Grand Manchester, entre autres). Le statut de « région assistée » concerne plus de 27 % de la population du Royaume-Uni.
Rien n’indique que la pérennité de ses dispositifs est assurée. Et au regard des politiques cruelles couramment en vigueur, tout suggère que les inégalités de développement à l’échelle territoriale britannique sont vouées à s’approfondir...
Thierry Labica