La question anglophone au Cameroun est le fruit de la négation des aspirations de la population, et plonge ses racines dans l’histoire coloniale du pays.
Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne perd ses colonies africaines, notamment le Cameroun. La gestion de ce pays est confiée à la France et à la Grande-Bretagne. Chacun va mener sa politique en imposant son type de gestion coloniale, sa langue, ses règles juridiques, etc., créant ainsi, au bout de plusieurs décennies, deux entités différentes. Lors du processus de décolonisation, la partie francophone va accéder à l’indépendance et, du côté anglophone, la demande d’indépendance est refusée par l’ONU qui ne donne aux populations que le choix entre l’intégration au Nigeria ou le rattachement au Cameroun francophone indépendant.
La trahison
Les régions anglophones vont choisir, lors du référendum de 1961, de lier leur destin au Cameroun, mais dans un cadre fédéral promis lors de la conférence de Foumban, sans que cela soit notifié par écrit. Forte d’une tradition démocratique, la partie anglophone exerce un contre-pouvoir qui fait obstacle à la domination totale d’Ahmadou Ahidjo, mis en place par le régime gaulliste. Celui-ci impose une Constitution puis proclame la République unie du Cameroun, qui tourne le dos à une authentique politique fédérale et installe une dictature avec l’assentiment de la France.
Paul Biya, qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 1982, va accentuer la politique de centralisation du pays, marginalisant les anglophones (20 % de la population).
La crise récente a commencé avec la protestation des avocatEs contre la nomination par le gouvernement de juges ne parlant pas l’anglais et ne connaissant pas le Common Law (règles juridiques issues du droit anglais), puis a rapidement été rejointe par les enseignantEs et les élèves pour s’étendre à toute la population. Le gouvernement a riposté par la répression et utilisé la loi antiterroriste adoptée dans la lutte contre Boko Haram. Les militantEs emprisonnés risquent désormais la peine de mort.
Les quelques mesures d’apaisement n’ont été prises que sous la pression internationale. La France a quant a elle empêché, en coulisses, une prise de position plus ferme de l’Europe face à la brutalité du régime camerounais : les derniers bilans font état de 32 morts et plus de 200 blessés, avec de nombreuses arrestations, sans pour autant endiguer la mobilisation.
Écueils et espoirs
Le camp anglophone reste divisé sur les objectifs, avec des positions allant de l’indépendance à la décentralisation en passant par le fédéralisme. Il est également divisé sur les moyens d’actions, de la médiation internationale aux actions violentes, voire la lutte armée. Déjà certains groupes, pour l’instant très minoritaires, n’hésitent plus à s’en prendre aux francophones, risquant de faire prendre à cette lutte un tournant dangereux et la mener vers une impasse mortifère.
En effet si les populations anglophones mettent en avant des revendications spécifiques, les protestations visent aussi l’état du pays, le délabrement des services publics, l’absence d’infrastructures, la misère qui sévit et plus globalement le pouvoir en place. Une situation largement partagée par les populations francophones, qui rend possible une lutte commune. Il revient aux organisations syndicales et politiques de construire cette unité en développant une plus grande solidarité avec les populations anglophones et ouvrir ainsi la perspective d’une remise en cause de ce régime.
Paul Martial