Quatre décennies que Paul Biya est au pouvoir au Cameroun. Un record de longévité laissant les populations exsangues dans un pays corrompu en proie à une sale guerre dans sa région anglophone. En dépit de ce bilan, le pouvoir de ce presque nonagénaire continue de bénéficier de la mansuétude des autorités françaises.
Le 6 novembre, les danseurs devant le palais présidentiel étaient censés représenter l’allégresse du peuple pour l’anniversaire des quarante ans de pouvoir de Paul Biya. Une fois la performance tarifée terminée, les flonflons tus et les discours laudateurs oubliés, la vie a repris égrenant les nombreuses difficultés économiques et sociales que subissent les Camerounais.
Un pays appauvri
Si le Cameroun est un des pays les plus riches d’Afrique centrale, les populations n’en profitent pas. La croissance du PIB s’élevait à 4,3 % en 1982, date de l’arrivée au pouvoir de Biya, elle n’était plus que de 0,9 % en 2021. L’indice de développement humain a stagné depuis des dizaines d’années. Plus de 30 % de la population est sous le seuil de pauvreté.
Dans le même temps, l’encours de la dette ne cesse d’augmenter. Il s’agit pour les deux tiers d’emprunts souscrits à l’extérieur, le tiers restant est constitué de salaires impayés des fonctionnaires, de retraites non versées ou partiellement, et de créances vis-à-vis d’entreprises nationales.
Un résultat économique aussi affligeant ne peut se comprendre que par le choix de l’élite dirigeante de favoriser une économie rentière basée sur les richesses du sous-sol, pétrole et gaz et une agriculture d’exportation de café, cacao et coton. Aucun effort n’a été entrepris pour développer un tissu industriel permettant une activité de transformation sur place. Cette économie se prête parfaitement à la corruption.
Un pays fortement corrompu
Deux affaires ont défrayé la chronique. La première concerne les lignes de souveraineté 65 et 94 du budget. La première est dédiée aux aléas du fonctionnement de l’administration, la seconde aux imprévus des investissements. L’une est gérée par le ministère des Finances, l’autre par le ministère de l’Économie. Les résultats d’un audit révèlent que des hauts fonctionnaires, mais aussi chefs d’entreprises, patrons de médias, bref l’élite du pays, touchaient des frais de mission avec parfois un total de plus de 600 jours sur… une année.
L’autre affaire est celle de Glengore, une société anglo-suisse de courtage en matières premières qui, lors d’un procès en mai 2022 à Londres, a avoué des faits de corruption dans de nombreux pays dont le Cameroun. Ainsi des dirigeants de la Société nationale des hydrocarbures et de la Société nationale de raffinage ont bénéficié de pots-de-vin pour un total de 13 millions de dollars. Depuis cette révélation, aucune enquête n’a été lancée. Les deux sociétés sont des sources de financement du président Biya. Cela lui permet de s’offrir des villégiatures luxueuses de plusieurs mois à l’hôtel Intercontinental à Genève et d’acquérir des biens de grand standing comme la « Villa Isis » sur la Côte d’Azur.
Un pays en guerre
S’il existe des agences anti-corruption, elles servent avant tout à traquer les opposantEs. Nombre de ces dernierEs ont connu la prison, c’est le cas pour le principal dirigeant de l’opposition Maurice Kamto. L’espace démocratique se rétrécit fortement et la crise dans la région anglophone au nord-ouest du pays n’arrange rien. Des sécessionnistes ont pris les armes revendiquant l’indépendance. Au lieu de respecter la promesse d’un État fédéral, Biya a accentué la centralisation du pays au point que les populations anglophones ont été marginalisées. Depuis, l’armée camerounaise équipée par la France mène une guerre sans merci. Des deux côtés sont commises les pires exactions contre les civils.
Si le président Macron est prompt à critiquer les manquements en matière de droits humains par certains gouvernements de pays africains qui s’éloignent du pré-carré de la France, il n’en fait pas de même pour ses amis. Lors de son voyage au Cameroun pour faire taire toute critique, il avait déclaré que « la France n’a pas de leçon à donner à qui que ce soit », une façon habile de cautionner le pouvoir despotique de Biya.