Ce dimanche 17 novembre avait lieu le premier tour des élections présidentielles et parlementaires, après 4 ans de gouvernement de droite. Bref tour d’horizon.
Depuis des mois, l’affaire semblait entendue : Michèle Bachelet serait la prochaine présidente de la République, initiant ainsi un second mandat après quatre années du gouvernement de Sebastián Piñera, entrepreneur multimillionnaire, regroupant derrière lui droite libérale et ex-partisans du dictateur Pinochet.Finalement, Bachelet devra attendre le 15 décembre prochain et un deuxième tour pour savourer sa victoire, mais les plus de trois millions de voix qu’elle engrange (plus de 46 % des votes), lui donnent une longueur d’avance écrasante face à sa principale adversaire, Evelyn Matthei (25 % des voix). Et les élections parlementaires lui offrent de plus la majorité au sein des deux chambres du congrès.
Social-libéralisme, abstention massive et intégration du PCAlors que la droite est au pouvoir depuis 2010, la campagne de Matthei a été un large fiasco. Après plusieurs erreurs de « casting », c’est finalement cette ministre de Piñera, fille d’un général de la dictature, qui a déployé un discours catholique ultra-conservateur. En face, dotée d’un budget de campagne démesuré et du large soutien des classes dominantes, Bachelet est revenue des États-Unis (où elle dirigeait « ONU Femmes ») avec une popularité incontestée. Gommant au passage le fait qu’elle est le plus pur produit de la Concertation, coalition de sociaux-libéraux et démocrates-chrétiens qui a dominé la vie politique pendant 20 ans (1990-2010), approfondissant le modèle néolibéral forgé durant la dictature (1973-1989).Les communistes ont pourtant choisi d’intégrer la coalition, rebaptisée « nouvelle majorité » pour l’occasion, et appelé à voter dès le premier tour pour Bachelet. Ils ont ainsi pu bénéficier de quelques circonscriptions leur permettant de doubler le nombre de leurs députés (avec 6 sièges). Parmi ceux-ci, l’ex-dirigeante des jeunesses communiste, Karol Cariola ou encore la leader étudiante Camila Vallejo. Mais au prix fort : malgré le mécontentement de nombreux militantEs, le parti redore le blason de la Concertation, jusque-là dénoncée comme un instrument du capitalisme, et devient une sorte de faire-valoir « de gauche » du futur gouvernement au sein des syndicats (dont la CUT, dirigée par une communiste)…
Apathie populaire, faiblesse de la radicalitéNéanmoins, la majorité des classes populaires ne se sent pas représentée par Bachelet et un système institutionnel façonné par la dictature. Sur les quelque 13 millions d’électeurs et alors qu’une récente modification électorale a aboli le vote obligatoire, seuls 50 % se sont déplacés aux urnes : un record historique ! Si certains secteurs militants ont appelé consciemment à la « grève électorale », c’est surtout l’apathie et le désenchantement qui dominent encore, dans une société marquée par l’atomisation néolibérale. C’est également ce que confirme le résultat — marginal — des candidatures à gauche. Sur les neuf candidats, deux ont tenté de mettre en avant un discours anti-néolibéral, revendiquant un programme de rupture avec le consensus établi. Marcel Claude, économiste présenté par le Parti humaniste, et soutenu par un mouvement large regroupant notamment plusieurs petits collectifs issus de l’extrême-gauche, ne regroupe que 180 000 voix (2,8 %), malgré une percée médiatique réussie. Quant à Roxana Miranda du parti Égalité, elle a su incarner l’irruption d’une femme combative et décidée, issue du peuple et des quartiers pauvres. Mais son discours de dignité, ouvertement anticapitaliste, n’a pas percé (1,2 %).
Le spectre des luttesCependant, la conjoncture pourrait être agitée dans les mois qui viennent. Les années précédentes ont été celles de grandes mobilisations : luttes massives des étudiants, grèves des salariés de plusieurs secteurs, luttes écologistes et régionalistes. Il y a bien un réveil de celles et ceux « d’en bas », avec en ligne de mire l’héritage de la dictature. Bachelet a d’ailleurs dû tenir compte de l’irruption des thématiques imposées par le mouvement social. Ainsi est apparu dans son programme le retour « graduel » à la gratuité dans les universités subventionnées par l’État, la réforme fiscale et la réforme de la Constitution (mais sans s’engager en faveur d’une assemblée constituante), la création d’une caisse de retraite étatique ou encore le mariage pour tous. Une manière aussi d’anticiper de futures mobilisations : à tel point que les principaux représentants du patronat ont applaudi. À 40 ans du coup d’État, « que tout changer pour que ne rien ne change » ? À moins qu’un troisième tour social ne vienne, à nouveau, remettre les ruptures anticapitalistes à l’ordre du jour.
De Santiago du Chili,Franck Gaudichaud