Durée, indépendance, coordination : la lutte des Walmart présente des traits quasi uniques en Chine.
Les salariéEs de Walmart font face à la première entreprise mondiale en termes de chiffres. En 2015, le groupe comptait en Chine 419 magasins et 20 centres de distribution, employant plus de 100 000 employéEs. Il est internationalement réputé pour ses très bas salaires et son antisyndicalisme. Assez paradoxalement, c’est en Chine qu’il a pour la première fois été obligé d’accepter une représentation syndicale d’État.
Pour faire pression sur l’entreprise géante, le gouvernement chinois a favorisé la création de sections syndicales officielles chez Walmart avec, fait très inhabituel, élection de leur représentation. Depuis, un accord a été passé entre la fédération syndicale (ACFTU) et la direction. Dans bien des cas, les dites sections sont aujourd’hui dirigées par le responsable aux ressources humaines du magasin… Cette expérience a néanmoins contribué à la formation de militantEs qui se sont réinvestis dans l’Association des travailleurs de Walmart en Chine (Walmart China Worker’s Association – WCWA). Elle a tissé des liens étroits avec les réseaux militants des « Walmart » aux États-Unis.
Depuis quatre mois, une lutte est en cours qui touche directement quatre magasins (alors qu’en général, les grèves ne se mènent que dans un seul établissement). Elle reçoit un très large écho dans le groupe (le nombre de membres de la WCWA atteint quelque 10 000). Elle a été déclenchée par la volonté de la direction d’imposer une flexibilisation extrême du temps de travail obligeant ses salariéEs à répondre instantanément à toute convocation. À travers la Chine, les employéEs de Walmart ont levé le poing lors d’actions de protestation, scandant « Ouvriers, levez-vous ! »
Identité collective et résistance commune
Le « monde de Walmart » est très particulier : les conditions de travail, la pyramide hiérarchique, l’idéologie d’entreprise et le règlement intérieur sont identiques dans tous ses magasins en Chine. Les salariéEs reçoivent un nom anglais, et doivent toutes et tous crier quotidiennement les mêmes slogans. Un véritable culte est créé autour de la personnalité de Sam Walton, défunt fondateur de la transnationale actuellement dirigée par son fils Robson. Les employéEs se doivent d’être des « Walmart », se penser Walmart, une identité collective qui est devenue source de résistance commune.
L’initiative du mouvement est venue des salariéEs, indépendamment de toute autre association que la leur. La WCWA fait usage avec succès d’internet pour se coordonner, informer (sur les droits légaux notamment), forger sa propre identité collective. Elle veut pérenniser son action, ayant conscience d’avoir engagé un combat de longue haleine. Elle a lancé en Chine même une campagne de collecte de fonds de solidarité, avec un succès encourageant, mais elle ne peut couvrir les frais de soutien aux grévistes, de défense légale...
Le gouvernement chinois durcit la législation sur les ONG qui n’ont plus le droit de recevoir de l’aide financière de l’étranger. Cependant, un combat comme celui des Walmart montre que des luttes indépendantes peuvent s’organiser dans la durée. Elles doivent être soutenues. L’association Europe solidaire sans frontières (ESSF) veut répondre à cette urgence et a lancé un appel en ce sens.
Pierre Rousset