Présenté par les dirigeants occidentaux comme un modèle pour l’émancipation des peuples à l’heure des révolutions arabes, le parti au pouvoir AKP est en fait un parti réactionnaire et autoritaire. Dans le cadre des processus révolutionnaires dans les pays du monde arabe, un propos revient assez souvent sous la plume de commentateurs médiatiques ou de personnages publics : la Turquie constituerait un modèle pour l’aboutissement de ces processus. Certaines fois, cela a pour but d’indiquer, contre les logiques néo-conservatrices, que les peuples à majorité musulmane ne sont pas condamnés à choisir entre dictature sanguinaire et régime théocratique.
En effet, le parti au pouvoir en Turquie, l’AKP (Parti de la justice et du développement), bénéficie d’une indulgence extrême de la part des dirigeants occidentaux et des éditocrates qui le considèrent comme un exemple. Certes l’AKP n’est pas une émanation de l’armée, n’a pas dans son programme la transformation de la Turquie en État islamique et remporte des élections législatives… mais cela n’est sûrement pas suffisant pour en faire un « exemple » pour des processus révolutionnaires. Par ailleurs, le soutien exprimé par le président Recep Erdogan à la cause palestinienne suscite une certaine sympathie parmi ceux qui sont indignés par les exactions de l’État israélien. Le terme « islamiste » qui recouvre des réalités très différentes ne fait que brouiller l’analyse1. Aujourd’hui, l’AKP doit avant tout être caractérisé à la lumière de son action.
L’AKP mène une politique néolibérale agressive au service d’une bourgeoisie dont l’accumulation de capital est basée sur l’export (textile, automobile, agro-alimentaire…), qui continue de collaborer avec l’État d’Israël, n’hésite pas à surenchérir dans le conservatisme autoritaire et nie la pluralité nationale de la Turquie (à l’instar de la Constitution qu’elle a fait adopter et qui a été boycottée par la grande majorité des Kurdes).
Ces dernières semaines, l’AKP a fait un pas de plus dans l’autoritarisme. En effet, un an après l’interdiction du principal parti kurde, le DTP, alors que des élections sont prévues en juin, le haut conseil électoral (HCE) contrôlé par l’AKP a pris la décision d’annuler sept candidatures du « Bloc pour le travail, la liberté et la démocratie » constitué autour du nouveau parti kurde, le BDP. Par ailleurs, le HCE a interdit la participation du parti de gauche radicale ÖDP sous des prétextes administratifs. Cette décision a provoqué une légitime indignation, particulièrement au sein du peuple kurde qui a manifesté en masse pour ses droits démocratiques… La répression a été terrible, la police n’a pas hésité à tirer à balles réelles blessant gravement de nombreux manifestants et tuant un jeune kurde de 18 ans, Ismail Oruç, à Bismil. Le ministre de l’Intérieur s’est contenté d’affirmer qu’il s’agissait « d’une réponse appropriée »…
Face à la virulence de la mobilisation, le HCE a du reculer et revenir sur six des sept annulations de candidatures (tout en maintenant l’interdiction de l’ÖDP). Néanmoins, le sens de la manœuvre initiale est clair tout comme le fait que, plus que jamais, aujourd’hui comme hier, l’AKP est le contre-exemple pour tous ceux qui luttent pour l’émancipation des peuples.
Suren1. Voir par exemple l’Islamisme en face, de François Burgat, La Découverte.