Publié le Vendredi 25 juillet 2025 à 08h00.

Une paix en chantier, le régime d’Erdoğan en guerre

Depuis quelques mois, le régime d’Erdoğan mène un processus dont il considère les deux pans comme complémentaires, mais qui apparaît profondément contradictoire. 

D’un côté, les attaques initiées avec l’incarcération du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu se sont transformées en une offensive plus large visant à criminaliser l’ensemble du CHP. De l’autre, pour la première fois depuis le début du processus de négociation qui s’esquisse depuis octobre 2024, des développements concrets ont eu lieu.

« Adieux aux armes »

Le PKK, après l’annonce de sa dissolution au mois de mai, a fait le premier pas. Trente militants (15 femmes et 15 hommes) ont brulé leurs armes lors d’une cérémonie en Irak du Nord. Cet acte, certes symbolique, est un tournant décisif pour la poursuite du processus bloqué sur la question de savoir qui ferait le premier pas. Le jour précédent, Abdullah Öcalan, leader du PKK, s’était adressé pour la première fois depuis plus de deux décennies à ses combattants et à l’opinion publique par l’intermédiaire d’une vidéo : « De manière générale, l’abandon volontaire des armes et les travaux d’une commission établie par une loi et habilitée par le Parlement sont des éléments essentiels du processus. Je suis convaincu que les démarches entreprises ne seront pas vaines. Je perçois la sincérité et j’accorde ma confiance ».

Une portée régionale

Erdoğan a déclaré, le lendemain de la cérémonie, que l’AKP, le MHP (ultra-nationaliste) et le DEM (parti de gauche pro-kurde) avaient « décidé de marcher ensemble sur cette route » insinuant qu’une sorte d’alliance avait été scellée entre ces trois partis. Le président turc a aussi souligné la portée régionale de ce rapprochement : « Les problèmes de nos frères kurdes d’Irak et de Syrie sont aussi nos problèmes. Nous discutons également de ce processus avec eux, et ils en sont très heureux» ; « les mesures prises hier ont eu un grand retentissement en Irak. Je suis également convaincu que l’unité et la solidarité l’emporteront en Syrie » ; « turcs, kurdes, arabes, nous sommes plus forts qu’hier ». Öcalan avait aussi plusieurs fois souligné qu’une alliance kurde-turque serait une opportunité pour construire l’hégémonie de la Turquie dans le Moyen-Orient.

Inclure l’opposition

En réaction au discours d’Erdoğan, Pervin Buldan, membre de la délégation du DEM Parti, a soutenu que « c’est la première fois que le président Erdoğan adopte une posture aussi constructive, inclusive et engagée vis-à-vis du processus ». Elle a toutefois affirmé qu’il est seulement question « d’une alliance pour le processus », qui ne va pas au-delà, insinuant ainsi qu’il n’y a pas d’autre accord politique entre ces partis, notamment sur la question du soutien à une nouvelle Constitution qui renforcerait le pouvoir d’Erdoğan. D’autres dirigeants du DEM ont insisté sur le fait que la résolution de la question kurde passait par la démocratisation du pays et que le soutien du principal parti d’opposition (CHP) et sa participation à la commission parlementaire chargée de définir le cadre juridique du processus était cruciale.

Quant à Özgür Özel, leader du CHP, dont le parti subit chaque semaine une vague d’arrestations et dont 15 maires ainsi que de nombreux cadres du parti sont incarcérés, il a critiqué Erdoğan en déclarant : « Le temps est révolu où l’on diabolise certains pour mieux rassembler derrière soi. Erdoğan tente de gaspiller une opportunité historique en cherchant à donner l’image d’une nouvelle alliance, juste pour prolonger un peu plus son pouvoir. »

La démilitarisation et la résolution de la question kurde constitueront des avancées capitales pour les peuples de Turquie et du Moyen-Orient. À condition cependant qu’elle passe par une restructuration démocratique de l’État et de la société, et ne soit pas instrumentalisée au service des ambitions autocratiques d’Erdoğan et de ses visées expansionnistes dans la région.

C’est encore un combat sur plusieurs fronts qui se profile à l’horizon pour les forces démocratiques, progressistes et révolutionnaires de la région. Un combat certes semé de difficultés, jalonné d’obstacles mais qui en vaut incontestablement la peine.

Uraz Aydin