Publié le Samedi 11 décembre 2010 à 14h53.

Dictature chilienne : « Un procès historique, emblématique, symbolique et universel »

Malgré la mort, en 2006, du Général Pinochet, jamais condamné, va s’ouvrir devant la cour d’assises de Paris – la plus haute juridiction criminelle française –, le procès de plusieurs hauts responsables de la junte militaire chilienne. Pour comprendre cet événement judiciaire, fruit de plusieurs décennies de mobilisations de familles de disparus et d’associations, nous avons parlé avec Renata Molina Zuñiga Donabin, vice-présidente de l’association d’ex-prisonniers politiques chiliens en France (AEXPPCH) et membre du bureau national de France Amérique latine (FAL).

Pourquoi un procès de responsables de la junte militaire chilienne en France ? Le procès contre des responsables militaires et civils de la dictature chilienne se tiendra à Paris du 8 au 17 décembre, à la suite du dépôt de plaintes des familles des quatre Franco-Chiliens disparus entre septembre 1973 et octobre 1975. Il s’agit de Jorge Klein, militant socialiste et proche collaborateur du président Salvador Allende, d’Estienne Pesle, fonctionnaire et acteur de la réforme agraire, d’Alfonso Chanfreau et de Jean-Yves Claudet, tous deux militants du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire). Tous les quatre sont des détenus disparus et, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas de réponses sur ce qu’il s’est passé après leur arrestation.  Peux-tu nous présenter brièvement parties civiles et accusés ?Les parties civiles sont en premier lieu les familles. À leur côté, il y a l’AEXPPCH, FAL, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Corporation pour la défense et la promotion des droits du peuple (Codepu) du Chili. Les accusés sont toutes des personnes qui ont participé à l’arrestation et à la disparition. Il y a des militaires mais aussi des civils chiliens et argentins. Ils seront jugés « en absence », comme le permet la justice française, puisqu’ils ont pris le parti de ne pas reconnaître ce procès.  Sur un plan personnel, que représente pour toi ce procès ? Qu’en attends-tu ?Je suis franco-chilienne, fille de deux militants du MIR. Mes parents ont été arrêtés le 29 janvier 1975, à Santiago. Mon père fait partie des détenus-disparus de la liste des 119, considérée comme les prémices du Plan Condor. Je n’ai pas de réponse concernant ce qui lui est arrivé après son arrestation. J’attends ce procès depuis douze ans, depuis l’arrestation de Pinochet à Londres. Ma mère a passé toute sa grossesse en prison jusqu’à son expulsion en septembre 1975 vers la France où je suis née. Pour moi, ce procès a un caractère historique, emblématique, symbolique et universel. À travers ces quatre disparus, nous jugeons l’ensemble de la dictature du général Pinochet. Chaque victime porte une part de l’histoire de la répression. Mais aussi, à travers eux, ce sont tous nos morts et disparus que nous mettons sur le devant de la scène. Je dis souvent « la mémoire ne se rend pas, elle fait son travail ». Les morts et disparus de la dictature ne sont pas morts parce qu’ils jouaient aux billes, ils ont été persécutés parce qu’ils étaient des militants politiques, porteurs d’un projet politique. C’est de notre responsabilité politique de faire en sorte de ne pas les laisser dans le silence et l’amnésie, et il est important de leur rendre Justice. Ce jugement est-il aussi attendu au Chili ? Et quelles sont les actions menées à Paris durant cette semaine de procès ?Nous organisons des manifestations et réunions d’information, les mercredi 8, lundi 13 et jeudi 16 décembre, place Saint-Michel à Paris de 11 à 14 heures, à deux pas des tribunaux de Paris, où se tient le procès. Nous organiserons une soirée publique à l’issue du procès, le vendredi 17 décembre à la mairie du 3e arrondissement de Paris, pour informer sur le verdict. Nous invitons très largement les personnes à venir exprimer leur solidarité. Au Chili, nous avons travaillé avec les organisations des familles et des droits de l’homme à faire connaître ce procès, mais ce combat là-bas est toujours l’affaire de quelques-uns… Le Chili est dans l’omerta et l’amnésie la plus grande concernant les crimes commis pendant la dictature. Le Chili actuel est toujours régi par la Constitution de 1980, celle de Pinochet ! L’impunité est partout. Et les lois antiterroristes de l’époque de la dictature s’applique maintenant à l’encontre du peuple Mapuche en lutte. Propos recueillis par Franck GaudichaudPour plus d’informations : www.franceameriquelatine.org et www.chiliveriteetmemoire.org