Le 22 octobre dernier, la Cour constitutionnelle a décidé d’éliminer l’une des trop rares causes qui autorisent l’avortement en Pologne : la malformation du fœtus. Cela affectera en réalité 97 % des IVG aujourd’hui pratiquées dans le pays. La loi ne laissera plus que deux causes « légitimes » à l’avortement : si la vie de la mère est en danger, ou bien si la grossesse est le résultat d’un viol. C’est la politique du parti au pouvoir, le Parti loi et justice (PiS), un parti de droite, réactionnaire et patriarcal, qui gouverne depuis 2015.
Déjà en 2016, la Pologne avait connu une énorme mobilisation contre la tentative de vote au congrès pour limiter l’avortement aux cas où la vie de la mère était en danger. Plusieurs jours de mobilisation avec des parapluies noirs, et le soutien des personnes mobilisées dans de nombreux pays, avait réussi à éviter ce recul.
La plus grande mobilisation depuis 1980
La mobilisation contre la décision a commencé la veille du vote, appelée par l’organisation Strajk Kobiet, « la grève des femmes », elle ne s’est toujours pas arrêtée à ce jour. Et les manifestations de ces derniers jours ont été massives. Ce sont même les plus importantes depuis 1980, à l’époque de la grève générale qui mena à la création du syndicat Solidarnosc.
Le 23 octobre, des manifestations ont eu lieu, en plus de Varsovie, dans les villes de province. Les manifestantEs ont allumé des bougies sous le slogan « Funérailles pour les droits des femmes » devant le siège du PiS.
Le 26 octobre, les manifestations ont pris la forme de barrages routiers à l’échelle nationale. La police a signalé qu’il y avait eu plus de 350 manifestations dans tout le pays. À partir du lendemain, les étudiantEs de nombreuses universités polonaises se sont joints aux manifestations.
À partir du 28 octobre, la « grève des femmes » a appelé une grève générale réussie sous le slogan « Nous n’allons pas travailler ». La police parle de 410 manifestations ce jour-là en Pologne, auxquelles auraient participé plus de 430 000 personnes.
Le 29 octobre, d’autres manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes polonaises sous le slogan « Les femmes et les LGBT. ENSEMBLE pour l’égalité ». Tous les jours depuis de très nombreuses manifestations, massives, ont lieu partout dans le pays.
Manifestations à l’intérieur des églises
La colère des femmes se tourne bien évidemment aussi vers l’Église catholique et elles vont donc naturellement manifester jusque dans les églises. Sur les murs des églises, elles écrivent : « L’avortement c’est bien », « L’enfer des femmes », « Avortement sans frontières », « Mon corps ≠ Votre religion » et elles y collent des affiches avec une femme enceinte crucifiée et le slogan « Ta faute, ta faute, ta grande faute ». Des manifestantes ont également interrompu les messes et ont jeté des tracts sur les autels. Dans la basilique de Lodz Les manifestantes sont entrées en costumes inspirés du roman la Servante écarlate de Margaret Atwood. En réaction à cela, des milices d’extrême droite protègent désormais les églises.
Polarisation extrême de la société polonaise
« Mais cela va maintenant au-delà du rejet de la décision sur l’avortement. Les gens sont très en colère. Nous avons perdu la primauté du droit, il n’y a pas d’indépendance judiciaire, les associations LGBT sont attaquées, la gestion de la pandémie montre qu’ils jouent avec notre santé. Les gens détestent de plus en plus Kaczynski. On le verra cet après-midi dans la rue », expliquait une militante de la « grève des femmes », le 1er novembre, à El Pais1. Il y a une division dans la société polonaise, qui s’est focalisée autour de la question de l’avortement. Mais cette lutte unifie plus largement le champ des jeunes travailleurEs. Plus de 64 % de la population soutient les manifestations, où on y crie toutes et tous le grossier « Wypierdalać ! » (« Va te faire… »), contre Kaczynski.
Le gouvernement tente maintenant d’étouffer la colère avec des promesses qui atténueraient l’impact de la réforme. « Je pense que cela ne suffira pas. Dans les prochains jours, le plus sûr est qu’un état d’urgence sera déclaré avec l’excuse de la pandémie et ainsi réprimer les manifestations », prédit l’intellectuelle Ewa Kulik2. Les manifestations en tout cas n’ont pas fini à ce jour de grossir et de s’étendre partout dans le pays…