Alors que dans la majorité des élections récentes la droite conservatrice progresse, les élections polonaises du 15 octobre 2023, avec une participation historique (78 %), ont au contraire mis en minorité le gouvernement conservateur. De plus, seulement 40 % d’électrices et d’électeurs ont participé aux référendums migratoires racistes convoqués au même moment, rendant leur résultat non valable.
Il a cependant fallu attendre deux mois pour que la nouvelle majorité polonaise1 puisse former un gouvernement et que son Premier ministre, Donald Tusk, prête serment devant le président Andrzej Duda le 15 décembre. Ce dernier avait d’abord reconduit le Premier ministre conservateur Morawiecki sous prétexte que son parti était arrivé en tête aux élections (35,58 %) bien qu’il ne dispose pas de majorité (194 mandats sur 460). La droite conservatrice a profité de ces deux mois supplémentaires pour nommer les siens à la tête de l’armée et dans l’appareil d’État, engager des dépenses et poursuivre la soumission de l’appareil judiciaire.
Indépendance de la justice et aides européennes
Dès qu’il est devenu Premier ministre, Tusk s’est envolé pour le Conseil européen à Bruxelles afin de tenter de débloquer les aides européennes (59,8 milliards d’euros du plan de redressement national et 76,5 milliards du Fonds de cohésion). Le pays avait vu le versement de ces fonds bloqués à la suite de sa politique de soumission de la Justice. L’UE exige en particulier l’abolition de la Chambre disciplinaire et la désignation d’un tribunal indépendant pour traiter les affaires disciplinaires des juges, la suppression des textes permettant de nommer les juges, et le refus que des jugements puissent être prononcés par des juges nommés illégalement. Adam Bodnar, le nouveau ministre de la Justice — un juriste indépendant — a, dès son entrée en fonction, introduit des modifications réglementaires. Il faudra cependant du temps pour adopter les nouvelles lois, et si le président Duda refuse de les contresigner, la Diète doit se prononcer aux deux tiers de ses membres. La nouvelle majorité ne dispose pas d’autant de mandats. Premier succès de Tusk : l’UE vient d’accorder une avance de plus de 5 milliards d’euros avant fin 2023, qui doivent servir à la modernisation et à la décarbonation des systèmes énergétiques.
Devant la Diète, le 11 décembre, Tusk a affirmé que les promesses électorales de sa coalition seront réalisées : « les revenus des enseignants vont être augmentés de 30 % dès le 1er janvier, les revenus de l’ensemble des fonctionnaires augmenteront de 20 %, comme promis », « nous introduirons immédiatement une seconde revalorisation annuelle des pensions et retraites dès que l’inflation dépassera les 5 % ».
La question du droit à l’avortement
Alors que la « coalition du 15 octobre » doit sa victoire électorale au vote majoritaire des femmes, Tusk a parlé du « problème très douloureux que constitue le droit à l’avortement légal et sécurisé ». La coalition gouvernementale n’est pas d’accord sur la légalisation de l’avortement. Le vice-Premier ministre agrarien a d’ores et déjà annoncé qu’il veut un retour « au compromis » de 1993, c’est-à-dire à une limitation du droit à l’avortement à trois cas : viol, danger pour la vie de la femme, handicap fœtal grave (ce cas a été annulé par le Tribunal constitutionnel illégal en 2020). Le président de la Diète a pour sa part demandé un référendum et s’oppose à une légalisation de l’avortement.
Ainsi, une des principales questions qui a permis la victoire de l’opposition démocratique reste en suspens. C’est à juste titre que le petit parti anticapitaliste, Razem, a décidé de ne pas faire parti du gouvernement, tout en lui votant la confiance. Car c’est par la mobilisation sociale dans la rue que les principales revendications populaires pourront être obtenues, en premier lieu celle du droit des femmes de décider de leur vie. Pour le moment, l’attentisme domine encore.
- 1. Formée par la Coalition civique KO (30,70 % des suffrages exprimés, 157 mandats à la Diète, équivalent de l’Assemblée nationale), la Troisième voie du parti agrarien PSL et le parti démocrate-chrétien Pologne 2050 (14,40 %, 65 mandats) et la gauche, une alliance électorale de la Nouvelle gauche (NL, formée par la fusion de l’Alliance de la gauche démocratique SLD et du parti Wiosna, le printemps), du Parti socialiste polonais PPS et du parti anticapitaliste Razem (Ensemble) : 8,61 % des suffrages, 26 mandats.