Publié le Mercredi 1 novembre 2023 à 16h00.

Erdogan-Palestine : hypocrisie et realpolitik

« Le Hamas n’est pas une organisation terroriste mais un groupe de libérateurs et de moudjahidin qui protègent leurs pays ». Un jour après avoir prononcé ces mots au parlement, des mots censés représenter un défi face à l’emprise idéologique du sionisme et de l’islamophobie dans les pays occidentaux, le Président turc a organisé un « grand meeting pour la Palestine » à Istanbul samedi dernier…

Devant des centaines de milliers de personnes – une mobilisation importante de ses partisans – Recep Tayyip Erdogan a affirmé que « l’Occident est le principal responsable du massacre de Gaza ». « Vous aviez bien pleuré pour les enfants tués en Ukraine, pourquoi vous taisez-vous face aux enfants tués à Gaza? Israël, nous t’afficherons comme un criminel de guerre aux yeux du monde », a-t-il lancé.

Contre-feu à la République laïque

Ce meeting s’est tenu la veille du centenaire de la fondation de la République turque. Le Président turc aime jouer avec les dates symboliques de l’histoire du pays en essayant de les marquer de son empreinte, en renversant leur signification historique au profit de son propre règne. Il en fut de même dans ce rassemblement massif où le Reis a affirmé l’importance de la cause palestinienne, une cause présentée comme sacrée de l’Islam face à la domination de l’Occident.

Dans un contexte de polarisation culturelle et religieuse de la société (52% contre 48% pour Erdogan aux élections présidentielles de mai 2023), ce meeting était donc une sorte de contre-événement face aux commémorations du lendemain. Tout en faisant une démonstration de force, cela lui a ainsi permis d’exprimer son opposition à la fondation de la République turque et à la laïcité, des valeurs essentielles pour l’opposition.

Démagogie

Dans les jours qui ont suivi l’opération Déluge d’Al-Aqsa et l’offensive meurtrière d’Israël sur Gaza, Erdogan a tout d’abord tenté de jouer un rôle de négociateur entre le Hamas et Tel-Aviv, comme il avait réussi à le faire à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Ankara venait juste de renouer ses relations avec Israël après plusieurs années de ruptures (depuis 2018). D’importants projets de coopération économique, notamment dans le domaine énergétique, étaient prévus entre les deux États.

Mais le ton du Président turc s’est durci à la suite du bombardement de l’hôpital al-Ahli à Gaza, provoquant une nouvelle rupture. Un deuil national de trois jours a été décrété en solidarité avec les défuntEs. Et face à la pression de sa base électorale et en raison de l’image de représentant de la Oumma (la communauté des musulmanNEs) qu’il souhaite se construire, Erdogan a donc dû prendre le risque de sacrifier une partie de ces relations avec l’État sioniste.

Rupture avec l’État colonial d’Israël

Le TIP, Parti Ouvrier de Turquie (dans lequel militent nos camarades de la IVe Internationale), avait fortement critiqué l’instrumentalisation de la question palestinienne par le régime turc, notamment par l’intermédiaire de son porte-parole Sera Kadıgil: « Pourquoi pleurez-vous quand des civils sont tués à Gaza mais pas quand ça arrive au Rojava ? ». Le parti avait appelé à la cessation des rapports diplomatiques, militaires et commerciaux avec l’État colonial d’Israël: « Nous savons que le gouvernement AKP est le principal partenaire commercial d’Israël malgré ses prétendues déclarations favorables à la Palestine. Le régime du palais d’Ankara est en train de coopérer politiquement, économiquement et même militairement avec Israël dans de nombreuses régions, du Caucase à la Méditerranée orientale. Nous n’attendons pas des sionistes, des islamistes politiques ou des centres impérialistes « libéraux » qu’ils fassent un pas au nom de l’humanité et de la paix. ».

Au parlement, des députéEs du TIP, du HEDEP (nouveau nom du parti kurde) et de EMEP (Parti du travail, extrême-gauche) ont aussi lu la déclaration de BDS Turquie s’opposant à toute coopération avec Israël.