Le musée du quai Branly présente jusqu’au 26 janvier « Kanak. L’art est une parole », exposition visible ensuite du 15 mars au 15 juin au Centre culturel Tjibaou de Nouméa. Juste retour, tant la redécouverte de l’art kanak doit à ce grand militant.
Ni la majorité de l’Union calédonienne (UC) ni les militants du Parti de libération kanak (Palika) n’avaient approuvé la « voie culturelle » choisie par Jean-Marie Tjibaou (1936-1989) avec l’organisation en 1975 du festival artistique Melanesia 2000, soutenu par des fonds de l’État colonisateur, et préfigurant la « voie légale » de conquête du pouvoir qui le porterait à la tête du conseil de gouvernement de Nouvelle-Calédonie dès 1982. Cette « modération » lui valut des inimitiés allant jusqu’à son meurtre 7 ans plus tard. Il faudra attendre le « référendum d’autodétermination » prévu entre 2014 et 2018 et ses suites pour juger des résultats à longue portée des choix politiques de Tjibaou. Mais ses efforts pour revivifier la culture kanak (« un peuple qui ne crée plus est un peuple en sursis ») et pour articuler traditions mélanésiennes et revendications nationalistes et sociales contemporaines furent vite une réussite incontestable et le restent des décennies plus tard, comme en témoigne l’exposition actuellement visible à Paris. Dès le début des années 1980, Tjibaou avait demandé à deux spécialistes, l’ethnologue Roger Boulay et Emmanuel Kasarhérou, le premier conservateur mélanésien du musée de Nouméa, d’entreprendre l’inventaire des œuvres d’art kanak dispersées à travers le monde, et une première grande exposition dédiée à sa mémoire, avec un beau texte d’Aimé Césaire, eut lieu à Paris en 1990. Il n’y en eut plus de cette ampleur jusqu’à celle-ci, qui présente environ 300 objets et documents – près de trois fois plus – procédant de nouvelles recherches de R. Boulay et E. Kasarhérou, ses deux commissaires. Dans l’intervalle, en Kanaky comme chez d’autres peuples autochtones du Pacifique, les sentiments d’appartenance se sont précisés tout comme la critique du colonialisme et de la mondialisation en cours, tandis que se modifiaient rapports de forces politiques et même économiques à mesure que parvenait à mieux se faire entendre la parole kanak.Pieu-escalier-tribuneQue l’art soit « une parole », c’est l’évidence, mais l’art de la parole et les valeurs qui lui sont attribuées occupent une place centrale dans la culture kanak et il y a lieu d’apprécier toute l’éloquence des « bois parlants » présentés dans cette exposition, des bambous gravés narratifs des débuts de la colonisation aux masques et sculptures transmettant la voix des ancêtres parfois à plusieurs siècles de distance. Et jusqu’à ce pieu emblématique servant à la fois d’instrument agricole, d’escalier et de tribune d’orateur. Dans l’esquisse de village traditionnel que parcourent les visiteurs, deux « grandes cases » se répondent, l’une avec la voix de Tjibaou, l’autre avec ce qui reste d’Ataï, le héros de la grande révolte de 1878, dont la tête fut envoyée en France. Cette exposition très réussie est complétée par un beau catalogue (Actes Sud) étudiant de près beaucoup des objets présentés.
Gilles Bounoure