Publié le Vendredi 13 novembre 2015 à 14h49.

Genève : une grève massive qui va continuer

C’est par milliers que les employéEs de l’Etat de Genève, tous services confondus – enseignement, hôpitaux, administration, travail social… - se sont croisé les bras depuis mardi passé. La grève, massivement suivie, a été suspendue ce jeudi soir par décision de l’assemblée générale des grévistes. Il s’agit à la fois de reconstituer des forces et de laisser au gouvernement un temps pour ouvrir des négociations.

Parallèlement, la reprise de la grève sous forme reconductible a déjà été votée pour le 1er décembre si les négociations ne devaient pas s’ouvrir.

Ce sont des mesures structurelles envisagées par le gouvernement cantonal genevois que la grève combat. Brève mise en perspective…

Gouverner c’est prévoir

C’est prévoir et anticiper. Ainsi, le gouvernement assume son rôle en anticipant l’adoption d’une loi dont il est le fervent défenseur et qui, bien qu’elle n’existe pas encore, devrait entrer en vigueur dès 2019. Cette loi devrait traduire au niveau du Canton la réforme  de l’imposition des bénéfices des entreprises actuellement en discussion au Parlement suisse.

Mise sous pression par l’Union européenne, la Suisse doit supprimer les traitements de faveur accordés aux multinationales qui bénéficient ici  d’un taux d’imposition largement inférieur à celui des entreprises « autochtones ». La loi qui va sortir du parlement va instaurer l’égalité de traitement. Partant, c’est aux Cantons d‘adapter leur taux d’imposition, celui-ci étant de leur ressort.

Ainsi, le Conseil d’Etat genevois – le gouvernement cantonal - a, à plusieurs reprises déjà depuis 2013, annoncé sa volonté de fixer le taux unique d’imposition à 13 ou 13,5%. Actuellement, il est de 11% pour les multinationales étrangères et de 24% pour les entreprises locales.

L’introduction du nouveau taux devrait se traduire pour les finances publiques par un manque à gagner de quelques 500 à 750 millions, voire même d’un milliard de francs … par an.

A titre de comparaison, le budget 2014 prévoyait des investissements de l’ordre de 639 millions de francs et que ce même budget se situait à un peu moins de huit milliards de francs. Donc, une perte de rentrées fiscales de cet ordre aurait signifié, l’an passé, se priver de tous les investissements de l’Etat (pour les écoles, les hôpitaux, les routes, les transports publics…) ou de 7,5% du budget total de l’Etat !

C’est avec un budget réduit de 7,5%, voire plus, que l’Etat de Genève se retrouverait en 2019 pour assumer en tout cas autant si ce n’est plus de tâches d’utilité publique.

En effet, les besoins sociaux vont augmenter : la population continue à vieillir et exige plus d’EMS et de prise en charge médicale, tandis que, de son côté, la population scolaire –actualité migratoire oblige- va aussi croître, tout comme le besoin en transports publics sans parler des urgences en matière de protection de l’environnement.

C’est un Etat aux moyens réduits qui devrait assumer plus. Evidemment, les détériorations du service à la population constitueraient une base matérielle incitative importante pour le développement d’écoles ou cliniques privées et payantes. C’est en ce sens que la Suisse participe à la négociation de l’accord TiSA (Trade in Services Agreement). Une neutralité économique en vertu de laquelle, par exemple, une institution privée vendeuse de masters universitaires installée au bord du Léman pourrait prétendre aux mêmes subventions publiques dont bénéficie l’Université de Genève, de même qu’une école privée pourrait prétendre à une défalcation fiscale des coûts d’écolage à hauteur des coûts unitaires de formation des élèves dans les écoles publiques…

Prévenir la crise sociale

Mais, loin s’en faut, la grande majorité de la population ne pourrait pas avoir accès à ces services de base payants. C’est pourquoi, l’Etat anticipe pour éviter que sur fond de déshérence sociale se développent les germes de l’explosion. Il faudra que, malgré les centaines de millions en moins, l’Etat et son personnel continuent d’assumer nombre de prestations indispensables.

C’est ainsi pour satisfaire des besoins sociaux croissants, qu’il veut augmenter la semaine de travail de 40 à 42 heures sans pour autant la payer davantage. Et c’est pour la même raison que l’Etat veut intensifier le travail par l’introduction et la généralisation des engagements à temps partiel, la productivité étant forcément moins grande lors des dernières heures de travail de la journée.

C’est aussi pour se protéger contre ces pertes de rentrées fiscales qu’il programme lui-même, que le Conseil d’Etat s’attaque également aux salaires par la suspension ad aeternam de l’annuité - à savoir la reconnaissance de l’expérience dans la fixation du prix de la force de travail - et par l’engagement de nouveaux employés à des tarifs inférieurs aux normes en vigueur.

Il en va de même pour la  diminution programmée des effectifs du personnel – les départs à la retraite ne seraient plus remplacés -  qui contribue à baisser les « coûts de personnel ».

C’est donc à travailler plus, de manière plus intense, pour des salaires bloqués et aussi partiels que le temps de travail que le projet du gouvernement condamne. Avec, en prime, la facilitation des conditions de résiliation des rapports de travail, bel euphémisme recouvrant une notion bien plus simple, la facilitation des licenciements de celles et ceux qui voudraient résister.

Une obole obligatoire... en faveur des plus riches !

C’est ainsi que le personnel est appelé à se sacrifier pour permettre un cadeau fiscal d’au moins 600 millions de francs suisses par an aux plus riches. En d’autres termes, il s’agit, ni plus ni moins, de puiser dans les poches de celles et ceux qui travaillent pour garnir celles de ceux qui font travailler leur argent.

Une obole que, par sa grève massive, le personnel refuse obstinément de verser…

De Genève, Paolo Gilardi