Depuis plusieurs semaines, la Géorgie est secouée par de grandes manifestations, notamment dans sa capitale, Tbilissi. Pas moins de 20 000 manifestantEs (selon la police, en réalité plutôt 150 000 voire 200 000) se sont mobiliséEs contre le projet de loi sur les « agents étrangers ».
Cette loi obligerait les organisations non gouvernementales et les médias qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l’étranger à se déclarer comme « agent étranger », c’est-à-dire comme « organisation servant les intérêts de puissances étrangères ». Le gouvernement prétend qu’il s’agit d’une garantie de transparence, mais cela lui permet en réalité de contrôler arbitrairement et de fermer toute organisation ou média qu’il estime contraire à ses intérêts, sous des prétextes d’espionnage étranger.
La population, témoin de manœuvres similaires en Russie et dans d’autres pays, a vivement critiqué cette loi comme étant inspirée du Kremlin et asseyant l’influence russe, tout en sabotant de fait le chemin vers l’UE, laquelle affirme que si cette loi est adoptée, il n’y aura aucun espoir d’y parvenir.
Les manifestants face à la répression
La Géorgie n’a obtenu son indépendance qu’en 1991, et les sondages d’opinion suggèrent qu’environ 80 % de la population est favorable à l’adhésion à l’Union européenne.
C’est dans ce contexte de tensions importantes que la population s’est soulevée la semaine dernière après l’adoption le 14 mai de la loi. Les manifestantEs ont fait face à la répression violente du gouvernement : police anti-émeute, usage des gaz lacrymogènes, grenades assourdissantes et canons à eau…
« Nous savions que notre gouvernement collaborait avec la Russie, mais par le passé, ils n’osaient pas exposer leur position. Ils avaient des relations cachées avec des mouvances de Géorgiens ultranationalistes et travaillaient ensemble ardemment sur une propagande de politique nationale géorgienne », selon cette manifestante pour qui c’est au moment de la guerre en Ukraine que le gouvernement a commencé à montrer son vrai visage.
Accointance pro-russe du gouvernement
Une première tentative de faire passer la loi sur les agents étrangers a eu lieu l’an dernier. La réaction civile a été si vive que le gouvernement a dû reculer. Bidzina Ivanichvili (oligarque et fondateur du parti actuellement au pouvoir, le « Rêve géorgien ») qui s’était prétendument retiré du parti et de la politique est maintenant officiellement de retour. Son passage en « sous-marin » a permis au gouvernement de se préparer à repasser la loi. Désormais, le gouvernement ne cache plus son accointance pro-russe et use des mêmes rhétoriques : « Nous, les Géorgiens orthodoxes, n’avons pas besoin de l’Europe car elle nous oblige à oublier notre identité et à accepter les lois garantissant des droits aux personnes LGBTI. »
Aspirations démocratiques
Malgré l’adoption de la loi, les manifestations perdurent. Sur Facebook, dans les groupes créés à l’initiative des manifestantEs, les idées pullulent. La présence massive de la jeunesse dans ces manifestations n’a pas échappé aux plus âgéEs. Les jeunes venaient avec leurs notes de cours sur place pour réviser. Des spécialistes dans diverses matières se sont alors proposés de les aider afin de compenser la fermeture des écoles. « Nous ne voulons pas qu’un millième de l’éducation des enfants soit perdu dans la lutte pour notre avenir. »
D’autres suggèrent des stratégies de grève et la mise en place de caisses de grève, discutent de la fréquence des manifestations, de leur forme et de la communication, mais aussi sur la manière de protéger les civils arrêtés par la police (assistance juridique, etc.).
Dans ce contexte, l’adhésion à l’Union européenne est, pour la majorité de la population, le seul espoir d’un avenir pour une société démocratique, progressiste et libérée du joug de l’impérialisme russe. Mais la gauche géorgienne n’est pas dupe, Alex Scrivener (directeur exécutif du Democratic Security Institute, un groupe de réflexion pro-démocratie basé à Tbilissi) garde un regard réaliste : « La Géorgie doit faire partie de l’UE. Mais nous ne devons pas nous faire d’illusions : l’UE a besoin d’une réforme démocratique radicale pour être plus forte, plus réactive et moins embourbée dans la bureaucratie byzantine et les petits vétos des États. » Une réforme démocratique et sociale qui impose l’extension de la gratuité et des services publics, la libre circulation des personnes, qui impose une autre Europe. Une perspective pour le mouvement actuel…