Publié le Lundi 16 décembre 2019 à 15h42.

Grande-Bretagne : victoire de Johnson, instabilité en perspective

L’élection britannique du 12 décembre était, comme les politiciens et commentateurs de tous les camps s’accordaient à le dire, la plus importante depuis des décennies. 

Elle opposait le travailliste Jeremy Corbyn – un socal-démocrate très radical, à la tête d’un parti qui s’est massivement développé sous sa direction au cours des quatre dernières années – avec un programme basé sur les services publics et la justice sociale, au conservateur Boris Johnson, dégoulinant de défense des privilèges, de racisme, de sexisme et de mépris pour les personnes exclues socialement. Il y a eu un très haut de niveau de mobilisation, avec des centaines de militantEs du Labour allant démarcher les gens, notamment dans les circonscriptions les plus marginales. 

Le choix d’un leader « fort »

Mais Johnson n’a pas seulement gagné. Il l’a fait de façon décisive, emportant des sièges, dans le nord de l’Angleterre désindustrialisé, qui avaient toujours été gagnés par le Labour. Au début de la campagne, les Conservateurs étaient loin devant dans les enquêtes d’opinion, mais le fossé s’est significativement résorbé dans les dernières semaines. L’ampleur de la défaite a dès lors été un coup dur, car la campagne ressemblait à celle de 2017, lorsque le Labour avait fait perdre de 17 sièges leur majorité aux Conservateurs, les contraignant à gouverner de façon minoritaire et les rendant incapables de mettre en œuvre le Brexit. Même si Corbyn ne l’avait pas emporté en 2017, la campagne fut un triomphe pour lui, et il en était ressorti plus fort qu’il n’y était entré. 

Lors de la campagne de 2019, le slogan de Johnson était « Get Brexit done » (« Faire le Brexit ») – un slogan vide et impossible à réaliser, mais attractif par sa simplicité. La Grande-Bretagne a fait le choix d’un leader « fort » – au moins en apparence – sur le modèle de Trump, mais aussi de Bolsonaro, de Modi, etc. 

Le programme du nouveau gouvernement conservateur, ce n’est pas grand chose de plus. La gauche est certaine qu’il a l’intention de saper un peu plus ce qui reste de services publics – en particulier le NHS1, d’attaquer le peu de droits syndicaux qui subsistent, et de rapprocher encore davantage la Grande-Bretagne des USA de Trump. Mais les Conservateurs démentent tout cela. 

De fait, depuis l’élection, Johnson a promis davantage de dépenses d’infrastructures pour le nord, mais aussi de consacrer, dans la loi, une augmentation des dépenses pour le NHS. Son deal pour la sortie de l’UE sera de nouveau soumis au Parlement avant Noël, et la Grande-Bretagne quittera l’UE au 31 janvier 2020.  

Des conséquences sur la stabilité du Royaume-Uni

Une des différences majeures avec l’élection de 2017 a été le rôle pervers des médias. Normalement, lorsqu’une élection est organisée, les partis ont un temps d’exposition équivalent et font l’objet d’un même niveau d’attention. Pas cette fois. Non seulement la diabolisation de Corbyn s’est poursuivie, mais c’est l’ensemble du traitement qui a été biaisé en faveur de Johnson. On notera que les fausses accusations d’antisémitisme – face auxquelles Corbyn s’est mal défendu – ont été au cœur des attaques, comme c’est le cas depuis des années. Ces biais étaient particulièrement frappants lorsqu’ils sont venus de la BBC, prétendument impartiale. 

Les résultats de l’élection auront des conséquences sur la stabilité du Royaume-Uni pour les années à venir. En Écosse, le Parti national écossais (SNP) a obtenu un très bon résultat (48 sièges sur 59) alors que le Labour a connu un désastre (un siège) car il a fait principalement campagne en soutien à l’Union [le Royaume-Uni]. Une majorité des Écossais avaient voté pour rester dans l’UE, et le résultat de l’élection constitue un mandat pour l’organisation d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Mais on ne sait pas encore ce que le leader du SNP, Nicola Sturgeon, va faire. Vont-ils faire comme en Catalogne et organiser un référendum sans l’autorisation de Westminster ? Ils ont toujours dit qu’ils ne le feraient pas, mais leurs possibilités sont de plus en plus restreintes.

Le Nord de l’Irlande avait également voté pour rester dans l’UE lors du référendum de 2016. Pour la première fois, avec le dernier scrutin, ont été élus davantage de députés favorables à l’unité de l’Irlande et au « remain » que de députés unionistes pro-Brexit. Pour l’un des dirigeants du Parti de l’alliance d’Irlande du Nord : « Si Boris Johnson choisi d’user de son mandat pour mettre en œuvre un no-deal ou un Brexit dur, alors il est inévitable que l’Écosse pousse pour un nouveau référendum d’indépendance et presque inévitable qu’il y ait une poussée pour un référendum sur l’unité de l’Irlande. »

À gauche, la perspective doit être de rediriger l’énergie investie dans la campagne Corbyn vers des campagnes pour défendre les services publics, soutenir les travailleurEs en grève, en solidarité avec les migrantEs, et pour construire une mobilisation de masse lors de la COP 26 qui aura lieu à Glasgow en novembre 2020. 

 

Veronica Fagan

  • 1. Le National Health Service (NHS) est le système de la santé publique.